Focus sur le cancer du pancréas
Avec plus de 12 700 décès en 2021 et 15 000 nouveaux cas en 2023, le cancer du pancréas est en passe de devenir la deuxième cause de mortalité par cancer d’ici à 2030 juste après le cancer du poumon1. Bien que moins répandu que d’autres cancers – il ne représente que 1,8 % des cancers en France - il reste l’un des plus redoutables, en raison d’un diagnostic souvent tardif : « 60 % des patients sont diagnostiqués à un stade métastatique dans lequel la tumeur n’est plus résécable. Parmi les 40 % restants, seule la moitié est opérable, et parmi eux, on observe très souvent des rechutes précoces », explique le Pr Jérôme Cros. Ce retard de diagnostic s’explique notamment par l’absence de test de dépistage simple contrairement au cancer colorectal (analyse des selles) ou du cancer du sein (mammographie). Le diagnostic actuel repose principalement sur l’imagerie (scanner) difficile à généraliser à toute une population présentant des facteurs de risque (tabac, obésité, alcool). La biopsie, réalisée une fois la tumeur localisée par imagerie, permet ensuite de déterminer son profil histologique et une carte d’identité moléculaire simple (profil génomique). Il existe deux grands sous-types de cancers du pancréas : le sous-type « basal-like », agressif et associé à un pronostic défavorable, et le sous-type « classique », plus chimio-sensible, d’un peu meilleur pronostic2. Ces sous-types sont définis par des analyses transcriptomiques (séquençage des ARN), non disponibles en routine, et pas encore utilisées en pratique clinique. Cependant, des travaux pionniers par les équipes de Nelson Dusetti (CRCM, Marseille) et Remy Nicolle (CRI, Paris) ont permis de développer des signatures transcriptomiques afin de prédire la réponse aux chimiothérapies utilisées dans le cancer du pancréas. Ces signatures sont en cours de validation prospective, mais leur mise en place généralisée nécessitera une organisation complexe du circuit des biopsies.
Corrélation histologie et profil génomique
Il existe une connexion entre les images macroscopiques telles que le scanner, les images histologiques et la biologie des tumeurs. Par exemple, une tumeur dense visible au scanner est souvent constituée de tissus durs, ce que confirme l’analyse histologique. Cette dureté des tissus est elle-même liée à la présence de cellules spécifiques produisant beaucoup de collagène. « Tout est lié et une fois ces connexions établies, on peut prédire le profil génomique ou transcriptomique de la tumeur à partir de l’histologie sans avoir recours à l’analyse moléculaire, grâce à l’IA », résume le Pr Cros. C’est sur ce principe qu’a été développé PACpAInt (Pancreatic Adenocarcinoma Classification using Artificial Intelligence) grâce à une collaboration multidisciplinaire des équipes du Pr Cros, du Dr Nicolle et de la société OWKIN3. Ce modèle d’IA a été entraîné sur une cohorte de plus de 200 patients issus de plusieurs hôpitaux de l’AP-HP, puis validé sur quatre autres cohortes indépendantes, représentant un total de près de 600 patients, incluant des biopsies couplées à des données transcriptomiques.
Des travaux encore en recherche mais prometteurs
Ces travaux de recherche, publiés dans Nature Communications, n’ont pas encore d’application directe pour le patient. L’outil PACpAInt pourrait à l’avenir donner aux cliniciens les clés pour typer la tumeur et guider la stratégie thérapeutique. « La première partie de notre travail, décrite avec cet outil PACpAInt, nous a permis de prédire le sous-type moléculaire du cancer du pancréas : la forme "basal-like" qui représente environ 19 % des tumeurs, et la forme dite "classique", 40 %. Dans certaines tumeurs, il peut exister un micro-contingent "basal-like” plus enclin à métastaser : elles peuvent donc être complexes, ce que nous ne pouvons pas forcément appréhender avec une biopsie qui n’en intéresse qu’une toute petite partie », décrit le Pr Jérôme Cros qui résume : « nos résultats dressent un tableau clair de l’hétérogénéité intra tumorale du cancer du pancréas, avec environ un tiers des tumeurs qui se situent probablement à mi-chemin entre les sous-types "classiques" et "basal-like". Mieux comprendre comment ces tumeurs évoluent vers le sous-type "basal-like" agressif, permettrait de développer des traitements spécifiques. »
Un impact sur les thérapies à venir ?
Actuellement, les patients bénéficient du même protocole thérapeutique indépendamment des sous types « basal-like » et « classiques » ou de leur profil de sensibilité, faute de biomarqueurs robustes facilement utilisables. « Mais nous travaillons à un autre modèle d’IA qui nous permettra, selon le profil tumoral observé, de prédire la réponse à la première ligne de chimiothérapie, donc de déterminer laquelle administrer au patient », indique le Pr Cros qui espère publier ces résultats d’ici la fin de l’année. En parallèle, de nombreuses équipes travaillent à l’élaboration de nouveaux médicaments s’adressant plus spécifiquement aux tumeurs plus agressives : « une fois que nous en disposerons, il faudra pouvoir identifier les tumeurs les plus agressives. C’est là que notre modèle aura toute sa pertinence, puisqu’il a été entraîné à identifier les tumeurs "classiques" ou "basal-like" », note le Pr Cros. À l’avenir, l’outil PACpAInt pourrait permettre aux anatomo-pathologistes de déterminer, à partir d’une lame d’histologie numérisée, un score de sensibilité à tel ou tel traitement qu’ils pourraient inclure dans leur compte rendu, ce qui permettrait de personnaliser la stratégie thérapeutique des patients.
- Panorama des cancers en France, INCa 2024
- Collisson et al. Subtypes of pancreatic ductal adenocarcinoma and their differing responses to therapy. Nature Medicine (17 500-503). 2011
- Pacpaint : a histology-based deep learning model uncovers the extensive intratumor molecular heterogeneity of pancreatic adenocarcinoma. Nature Communications. Juin 2023.
Les trois points à retenir
- Un outil d’IA pour classer les tumeurs du pancréas
PACpAInt utilise des images histologiques pour prédire les sous-types moléculaires du cancer du pancréas, sans avoir recours à des analyses transcriptomiques complexes. - Un enjeu majeur de personnalisation des traitements
Cette classification pourrait aider à adapter les chimiothérapies selon le profil tumoral (classique ou basal-like), actuellement non différenciées en pratique clinique. - Des travaux encore en phase de recherche mais prometteurs
L’outil, validé sur près de 600 patients, pourrait à terme guider les choix thérapeutiques et ouvrir la voie à des traitements ciblés contre les formes les plus agressives.
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