Comment définir les patients à prioriser pour la conciliation médicamenteuse ? Le CHU de Reims a trouvé une solution. Depuis le 1er février 2025, il utilise un outil d’apprentissage automatique qui fonctionne en routine pour 100 % des patients admis en Médecine, chirurgie, obstétrique (MCO). Dans les autres services, ce sont les étudiants en 5e année de pharmacie qui mènent une activité quotidienne de conciliation médicamenteuse. « Ils suivent les visites avec les médecins au lit des patients, ce qui permet déjà d’identifier ceux pour lesquels une conciliation médicamenteuse est nécessaire », rapporte le Dr Thibault Vallecillo, pharmacien au sein du Pôle pharmacie-pharmacovigilance et porteur médical du projet, précisant qu’elle est réalisée dans les 72 heures.
Pour les services au sein desquels il n’est pas possible d’identifier les patients considérés comme étant les plus à risque, l’algorithme est utilisé. Son fonctionnement est relativement simple : il s’agit d’une application web interne, qui se connecte au logiciel métier et récupère les données des patients dès lors qu’ils sont hospitalisés. « Les étudiants affectés à la PUI, mobiles dans les services, se connectent quotidiennement au site, afin d’accéder à une liste de patients priorisés, présentant un risque élevé de divergence non intentionnel (DNI) », explique Rudy Merieux, responsable scientifique au sein de l’Institut d’intelligence artificielle en santé (IIAS), une structure fédérative de recherche, sous tutelle du CHU et de l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Ils effectuent ensuite l’entretien auprès des patients identifiés, appellent leur officine et font le point avec l’équipe hospitalière afin d’adapter les prescriptions. « Le logiciel ne leur fait pas gagner de temps mais il permet de ne pas en perdre auprès de patients qui auraient moins de risque de présenter une DNI », souligne Rudy Mérieux.
La réponse à un besoin
Le CHU a déployé la conciliation médicamenteuse dès 2014 « mais la démarche est chronophage et nous ne disposons pas de moyens humains suffisants pour l’effectuer auprès de tous les patients », précise Thibault Vallecillo. L’équipe de la PUI a d’abord réfléchi, dès 2018, à une solution en interne, avant de solliciter l’IIAS, en 2022, afin de développer un algorithme d’IA, pour aider les pharmaciens à analyser les données des patients pour identifier ceux à prioriser. En recevant ce besoin « métier », l’équipe de l’IIAS a entrepris de créer cet outil permettant de calculer un score de risque d’erreurs médicamenteuses. « Nous avons d’abord effectué un point avec les pharmaciens car certes, le CHU dispose d’un entrepôt de données de santé, mais encore fallait-il nous assurer d’avoir à disposition celles dont nous avions besoin et qu’elles soient identifiées », rapporte Rudy Merieux. Point positif : les données concernées étaient facilement accessibles et déjà mises en qualité.
Deuxième défi : définir ce qui est prédictif de l’erreur médicamenteuse. L’IIAS a donc balayé la littérature internationale sur le sujet, afin d’identifier les facteurs en lien avec les erreurs médicamenteuses. « Nous avons sélectionné 52 variables concernant à la fois le patient et l’activité hospitalière telles que les données démographiques, celles liées à l'hospitalisation notamment la période d'admission, un passage par les urgences, les précédentes hospitalisations, le taux d'occupation des services, le délai d'hospitalisation, les données cliniques ou encore celles sur les médicaments », énumère-t-il.
Des résultats encourageants
Le modèle a été entraîné entre 2017 et 2023 sur les données de 7 000 patients du CHU afin d’identifier les prescriptions contenant des erreurs non intentionnelles. Ce travail a conduit à l’élaboration d’un algorithme exploitable en clinique et suffisamment robuste pour être utilisé même en l’absence de certaines données-patients.
Puis, pour tester l’outil, les chercheurs ont utilisé les données de 12 604 patients hospitalisés entre 2017 et 2023, choisis au hasard pour faire l'objet d'une conciliation médicamenteuse. Pour valider le modèle, ils ont utilisé les données de 317 patients qui ont bénéficié d'une conciliation médicamenteuse entre novembre 2023 et avril 2024, parmi lesquels 93 présentaient au moins une erreur médicamenteuse ayant conduit à l'intervention d'un pharmacien. L'outil prédictif a été appliqué à cette cohorte : 110 patients présentaient un score élevé. En parallèle, un groupe de pharmaciens cliniciens a sélectionné le même nombre de dossiers patients mais de manière aléatoire. Une amélioration de 113 % a été constatée dans l’identification par l’outil, des patients candidats à la conciliation médicamenteuse lors de leur admission. Ces résultats suggèrent qu'un outil informatique prédictif pourrait améliorer la sécurité des patients. « En 2022, sur 2 037 patients pris en charge au CHU de Reims, les praticiens identifiaient auparavant 536 DNI, explique Rudy Merieux. Avec notre modèle, nous estimons que plus de 1 000 patients présentant une erreur médicamenteuse auraient pu être identifiés. »
Une étude est en cours afin d’analyser l’impact clinique de ces divergences, savoir s’il est majeur, modéré ou mineur, et définir le bénéfice réel de l’outil sur plusieurs années par rapport aux pratiques antérieures. Il devrait ensuite être déployé en Soins médicaux de réadaptation (SMR).
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