La contamination environnementale consiste en la présence anormale de substances dans un environnement. Dans les PUI, elle concerne notamment les cytotoxiques présents sur les surfaces de l’environnement de travail des équipes pharmaceutiques. Problème : il n’existe pas à ce jour de norme fixant des seuils d’exposition maximaux et de consignes d’actions en fonction des quantités détectées. Bertrand Favier, pharmacien coresponsable de l’unité de production des chimiothérapies au Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard (Lyon), a lancé avec son équipe, différents travaux de recherche sur le sujet avec, à la clé, deux études en passe d’être publiées. L’une porte sur la contamination de surface en France, la seconde sur une analyse de la littérature internationale à ce propos. Objectifs de ces travaux : présenter la contamination surfacique en France depuis 2007 ; proposer des éléments de standardisation de la méthode pour réaliser des campagnes de prélèvements au sein d’un hôpital et pour la réalisation des études de recherche de contamination de surface ; enfin établir, à terme, des seuils maximaux de contamination surfacique et donner des consignes aux pharmaciens sur les niveaux de contamination à partir desquels déclencher des actions permettant de limiter la contamination environnementale.
Dans quel contexte historique s’inscrivent vos travaux de recherche ?
Bertrand Favier - Depuis les années 1970, il a été mis en évidence que les personnels hospitaliers manipulant les chimiothérapies – d’abord les infirmiers puis les préparateurs et les pharmaciens – étaient exposés aux cytotoxiques. Les recherches ont d’abord été faites via des analyses sanguines. Problème : réaliser des prélèvements sanguins nécessite des autorisations. C’est pourquoi elles ont ensuite été menées dans les urines puis, dans l’air et sur les surfaces, lesquelles sont d’ailleurs à privilégier. En effet, en recherchant des traces de cytotoxiques sur les surfaces, il est alors possible d’agir pour limiter leur présence notamment via des actions de nettoyage ou des modifications de la gestuelle. Nous avons donc mis en évidence la nécessité d’effectuer des recherches pour évaluer cette contamination. Saisie en 2017 par la Direction générale du travail, à propos du risque de la contamination par les cytotoxiques de l’environnement de travail des hospitaliers, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié un rapport en 2021 révélant que pour déterminer correctement la contamination environnementale, il faut effectuer des recherches de cytotoxiques par frottis de surface.
Existe-t-il des risques pour les professionnels ?
Bertrand Favier - Cette question est légitime car nous savons, par des études menées chez l’homme ou l’animal, que certains médicaments utilisés en cancérologie présentent une triple toxicité cancérigène, mutagène et reprotoxique. Mais, chez les personnels de santé, une seule toxicité a été démontrée à savoir un potentiel risque reprotoxique, notamment d’avortement spontané. Il est toujours important de souligner que les risques sont différents entre les patients et les professionnels. Pour ces derniers, la principale exposition est cutanée d’où l’importance d’effectuer des recherches environnementales de contamination surfacique. Première équipe française à avoir publié sur ce sujet, nous y travaillons depuis 1996.
Quelles ont été les différentes étapes de vos recherches ?
Bertrand Favier - Nous avons d’abord procédé à une évaluation de la contamination environnementale en France. Le laboratoire MASS (Mesure de la contamination des SurfaceS par les Anticancéreux), fruit d’un partenariat entre le Centre Léon Bérard et les Hospices civils de Lyon, a analysé des échantillons pour tous les établissements volontaires, afin de présenter l’évolution du niveau de contamination depuis 2007.
Dans un second temps, nous avons réalisé une analyse de la littérature internationale sur le sujet.
La troisième étape consiste à construire un modèle de scoring de la contamination surfacique à l’hôpital à partir des résultats de l’analyse de la littérature et de notre évaluation de la contamination surfacique en France. Ce modèle sera testé un grand nombre de fois afin d’obtenir une cartographie théorique de la contamination environnementale pour les établissements de santé. Chacun pourra alors comparer ses résultats réels avec la cartographie et, en fonction, appliquer différentes actions que nous pourrons proposer.
Enfin, la quatrième étape consistera en la réalisation d’une campagne, en France, sur un grand nombre d’établissements de santé pour obtenir de nouveaux paramètres de contamination surfacique qui pourront alimenter le modèle de scoring pour être au plus près de la réalité. Il s’agit d’aller vers le principe du « as low as reasonably achievable » (« aussi bas que raisonnablement possible »), c’est-à-dire que l’on ne changera les paramètres que s’ils s’avèrent meilleurs.
Sur quelle méthodologie vos travaux préposent-ils ?
Bertrand Favier - Pour la première étude, qui porte sur l’évolution de la contamination environnementale entre 2007 et 2022 en France, 194 établissements ont participé, soit environ 40 % des hôpitaux français effectuant de la cancérologie ! Plus de 3 600 prélèvements ont été réalisés, en majeure partie dans les unités de production, mais 500 ont tout de même été effectués dans des unités de soins. Finalement, ce sont quelque 22 000 dosages qui ont été analysés par le laboratoire MASS. Entre 2007 et 2010, les recherches ont porté sur un seul cytotoxique. Puis, de 2013 à 2021, jusqu’à 18 cytotoxiques différents ont été analysés. Nous avons construit une base de données avec des définitions (voir encadré) puis, nous avons effectué une analyse statistique quantitative et qualitative. Pour la deuxième étude - l’analyse de littérature internationale -, nous avons procédé à des recherches sur la totalité des études publiées entre 2017 et 2022, soit 259 publications. Après relecture, seules 29 d’entre elles correspondaient exactement à notre sujet.
Quels constats avez-vous dressé sur les prélèvements ?
Bertrand Favier - Concernant les campagnes de prélèvements, nous ne mettons pas en évidence, dans notre étude, d’évolution de la positivité de celles-ci sur la période 2007-2021. En revanche, nous pouvons déterminer statistiquement que le nombre idéal de prélèvements pour une campagne dans un hôpital est au minimum de sept. En ce qui concerne le taux moyen de positivité des prélèvements, il est de 38,9 %. Ce résultat est très proche de celui trouvé dans notre analyse de la littérature internationale, puisque celui-ci est de 40 %.
Nous mettons également en évidence la grande hétérogénéité des résultats de fréquence de contamination dans les études internationales, en raison du nombre de prélèvements réalisés. En-dessous de 500 à 800 prélèvements, l’hétérogénéité est très importante et les résultats ne sont pas forcément fiables.
Qu’en est-il de la positivité des dosages ?
Bertrand Favier - En France, le taux de positivité est de 10,3 % avec une fréquence de contamination des PUI supérieure à celle des unités de soins. Or, en éliminant les surfaces que l’on trouve uniquement dans les PUI (isolateurs ou poste de sécurité microbiologique = surfaces ISO 5), il n’y a plus de différences entre les PUI et les unités de soins. Ce qui est rassurant, selon moi, pour les professionnels travaillant en PUI. Notons que le score international est de 8,2 %, ce dont la France est, là aussi, très proche. Enfin, nous constatons dans notre étude française une diminution de la fréquence de contamination des dosages au cours du temps.
Certains cytotoxiques sont-ils plus contaminants que d’autres ?
Bertrand Favier - Nous avons constaté que quatre médicaments sont plus souvent retrouvés positifs dans l’environnement que les autres cytotoxiques recherchés. Nous nous interrogeons sur le fait de, peut-être, nous limiter à rechercher uniquement ces traceurs pour réaliser des comparaisons inter-établissements.
Dans la littérature internationale, parmi les sept traceurs les plus fréquemment relevés se trouvent les quatre français, ce qui corrobore une fois encore nos résultats. Au niveau international, nous ne pouvons pas comparer les données brutes entre deux études si nous n’avons pas le même nombre de traceurs et s’ils sont différents. C’est pourquoi nous proposons une nouvelle fois que les résultats d’exposition soient donnés pour une sélection de médicaments, à savoir ceux étant le plus souvent retrouvés positifs.
Enfin, en prenant en compte tous les cytotoxiques entre 2013 et 2021, il est très encourageant de constater, au niveau de notre étude, une diminution de la quantité de cytotoxiques détectés sur les surfaces de travail. Au niveau international, ce constat est également retrouvé dans plusieurs études.
Quelles conclusions en tirez-vous ?
Bertrand Favier - L’étude française menée sur 15 ans est très significative et solide. Elle révèle l’absence d’évolution de la positivité des campagnes de prélèvement de surface au cours du temps, mais nous mettons en évidence une diminution du pourcentage de positivité des dosages ainsi qu’une diminution de la quantité moyenne globale des cytotoxiques retrouvés sur les surfaces au cours du temps.
Nous proposons une meilleure standardisation des études, par exemple en limitant la recherche de la contamination de l’environnement aux quatre traceurs principaux systématiquement relevés et aux études fondées sur plus de 500 prélèvements.
Il reste néanmoins des questions en suspens, notamment connaître la fréquence de réalisation des campagnes. Nous essayerons d’apporter une réponse lors de la troisième phase de notre projet de recherche. Enfin, une autre question persiste sur la standardisation des localisations des prélèvements. Sur ce point, nous sommes en attente de validation des prélèvements par les sociétés savantes.
Glossaire
Campagne de prélèvement de surface : somme de prélèvements à un instant T.
Prélèvement : surface analysée, cadrable comme non cadrable (c’est-à-dire non mesurable en cm2), comme une poignée de porte par exemple.
Traceur : cytotoxique analysé.
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