Aujourd’hui, la définition de la financiarisation (voir encadré) de l’offre de soins fait consensus : il s’agit du processus par lequel des acteurs financiers privés, capables d’investir de manière significative et qui ne sont pas directement professionnels de santé, entrent dans le secteur des soins avec comme finalité première de rémunérer l’investissement consenti. Le tout dans une logique court-termiste.
Ces acteurs privés apportent des capitaux, l’accès à des technologies innovantes et à des modèles d’organisation et de management. Leurs profils sont variés, allant des industriels du secteur de la santé (soin hospitalier, biologie, imagerie) aux fonds de pension. L’objectif premier de ces acteurs est d’optimiser les flux financiers, le secteur de la santé étant des plus attractifs, avec le vieillissement de la population et une demande de soins en augmentation et solvable en raison de la présence d’un « payeur, l’Assurance maladie, ce qui donne une certaine stabilité », a souligné le sénateur Bernard Jomier, lors de la session de PRES 2025. Conséquence : « même si les rendements ne sont pas nécessairement très élevés », les perspectives de croissance et de fructification du capital sont nettes et les risques, modérés.
Un phénomène qui prend de l’ampleur
Pour rappel, le phénomène de financiarisation de l’offre de soins n’est pas nouveau puisqu’il connaît une progression rapide dans le secteur hospitalier privé lucratif depuis le début des années 2000. Résultat : « aujourd’hui, quatre grands groupes détiennent quelque 40 % des cliniques », a cité le sénateur Jomier, co-signataire du rapport d’information de septembre 2024 fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat sur la financiarisation de l’offre de soins. Du côté de la ville, c’est le secteur de la biologie médicale privée qui constitue aujourd’hui le secteur le plus financiarisé avec six groupes qui détiennent 62 % des laboratoires de biologie médicale. Mais, désormais « cette financiarisation progresse dans l’offre de soins ambulatoires », a pointé Bernard Jomier. C’est particulièrement le cas dans le secteur de l’imagerie où l’on constate un important mouvement de concentration « dans un secteur historiquement fragmenté », comme le rappelle le rapport du Sénat, qui constate par ailleurs que « l’intérêt des investisseurs se porte depuis peu sur les centres de soins primaires ». Enfin, les pharmacies d’officine ne sont pas non plus épargnées par la financiarisation et ce, alors même qu’elles sont pourtant protégées par un cadre juridique réservant la propriété des officines aux pharmaciens diplômés. Certains pharmaciens recourent en effet à des fonds d’investissement.
Des facteurs favorisants
Quels sont les facteurs ayant favorisé, voire poussé à ce phénomène ? En tête, l’augmentation des exigences qualité et des normes, qui a conduit les professionnels de santé à se regrouper pour y faire face. C’est le cas notamment pour les laboratoires de biologie médicale, pour lesquels le coût lié à l’obligation d’accréditation a sans aucun doute été à la source de leur mouvement de regroupement. C’est là que les acteurs financiers entrent en scène et « proposent de l’investissement sans aucune difficulté », a expliqué le sénateur Jomier.
Par ailleurs, « les assouplissements successifs du cadre juridique ont favorisé la financiarisation en permettant à des investisseurs n’exerçant pas au sein des sociétés d’exercice libéral (SEL) d’entrer au capital », pointe le rapport du Sénat. À quoi s’est ajoutée une régulation des dépenses qui a pu « constituer un facteur propice au développement de la financiarisation, dans un contexte de déficit récurrent de la branche maladie ».
Des effets bénéfiques possibles…
Et de fait, la financiarisation peut avoir des effets positifs, comme le souligne la note de juillet 2023 de la Chaire Santé de Sciences Po consacrée au sujet. Parmi les bénéfices cités, la potentielle « modernisation technique et rapide de l’offre de soins », la financiarisation présentant « l’avantage de mobiliser des ressources importantes pour mener à bien des transformations permettant de concentrer et de rationaliser l’offre de soins privée dans une perspective d’efficience accrue ».
Le recours à des financeurs privés permet également de « mettre en œuvre des démarches d’amélioration de la sécurité et de la qualité de soins par la mise aux normes des structures et l’application des standards de qualité optimaux », comme cela a été le cas dans la biologie médicale déjà évoquée.
Enfin, « l’exercice salarié en centres de santé portés par des opérateurs privés ou la redéfinition d’une nouvelle articulation entre professionnels de santé et organismes gestionnaires privés de structures de soins peut permettre d’offrir des conditions de travail plus en phase » avec les attentes des jeunes professionnels de santé, lesquels se détournent de plus en plus de l’exercice privé traditionnel. Or, « les investisseurs privés sont plus à même d’offrir des conditions de travail attractives en raison de leurs capacités à modéliser et généraliser à l’échelle de groupes de nouveaux modèles d’organisation (système d’information, locaux types, management des ressources humaines, formation continue...). Leur taille permet également d’assumer financièrement le temps de montée en charge des nouvelles organisations pour atteindre l’équilibre financier ».
… et des risques réels
Pour autant, un excès de financiarisation est porteur d’effets délétères et ce, à différents niveaux. Ainsi, en accélérant le processus de concentration de l’offre de soins, le phénomène conduit à des situations d’oligopoles voire de quasi-monopoles dans certains territoires. Or, « un acteur financier va avoir tendance, dans les arbitrages entre la qualité de l’offre de soins et la rentabilité financière, à faire prévaloir la logique du gain sur le soin », pointe Bernard Jomier. Conséquence pour les patients : une réduction de l’accès aux soins, une dégradation de la qualité voire une sélection des patients.
Les conséquences ne sont guère meilleures pour les professionnels de santé dont l’indépendance professionnelle est directement menacée dans certaines SEL, notamment en raison de la complexité des montages juridiques. Des conflits entre logique financière et déontologie peuvent ainsi émerger.
Face à cette réalité, la commission des affaires sociales du Sénat formule 18 propositions : quatre pour « adapter la régulation économique de l’offre de soins pour maintenir un système équitable », cinq autres pour « maîtriser les conséquences de la financiarisation sur l’organisation territoriale de l’offre de soins », et neuf pour « garantir l’indépendance des professionnels de santé et protéger leurs conditions d’exercice ».
Financiarisation : attention aux confusions !
La financiarisation ne doit pas être confondue avec :
- La privatisation qui désigne le transfert de propriété de certains segments du système de santé du secteur public vers le secteur privé ;
- La rentabilité – ou profitabilité – qui désigne la capacité à dégager des bénéfices de certaines activités ;
- L’efficience qui traduit le rapport entre les résultats obtenus par une activité et les moyens mobilisés (publics ou privés) pour la réaliser ;
- La concentration qui désigne le regroupement de professionnels de santé libéraux sans apport de capitaux par des tiers financiers ;
- La marchandisation qui regroupe les pratiques commerciales abusives dans le secteur de la santé.
- « Financiarisation de la santé – Décryptage du rapport du Sénat », PRES 2025, https://rochepro.fr/pharmaciens/expertise-pui/evenements/pres-2025.html
- « Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires sociales sur la financiarisation de l’offre de soins », Corinne Imbert, Bernard Jomier, Olivier Henno, https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/commissions/commission-des-affaires-sociales/financiarisation-du-systeme-de-sante.html
- « La financiarisation dans le secteur de la santé : tendance, enjeux et perspectives » ; Yann Bourgueil, Daniel Benamouzig, Chaire de santé de Sciences Po, juillet 2023, https://www.sciencespo.fr/chaire-sante/sites/sciencespo.fr.chaire-sante/files/Note%20financiarisation%20VF.pdf
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