Ouverte à tous les établissements hospitaliers avec hébergements autorisés à traiter le cancer, cette expérimentation, prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 (article 50), vise à favoriser le recours à l’HAD pour les patients recevant des Traitements médicamenteux systémiques du cancer (TMSC), administrés habituellement en hospitalisation de jour (HDJ). L’objectif affiché d’une telle mesure est multiple :
promouvoir des modalités de prise en charge alternatives ;
participer au désengorgement des HDJ où sont dispensées les chimiothérapies ;
améliorer le confort de vie des patients en leur permettant de continuer leurs traitements à domicile sans déplacements fréquents ;
renforcer la coordination entre structures hospitalières et services d’HAD.
Les structures hospitalières sont en effet confrontées à un nombre de cas de cancer croissant ainsi qu’à des besoins de traitements en forte augmentation.
La sélection des établissements
Le décret définit les conditions de sélection des établissements participant à cette expérimentation, organisée par les Agences régionales de santé (ARS) à travers un Appel à manifestation d’intérêt (AMI).
Chaque région pourra retenir jusqu’à dix établissements répondant à plusieurs critères :
disposer d’une autorisation d’hospitalisation de jour en oncologie et être associé à une structure d’HAD ;
présenter un projet de développement du recours à l’HAD pour les patients sous traitement systémique du cancer ;
s’engager à fournir les données annuelles nécessaires à l’évaluation de l’expérimentation.
Cette expérimentation fera l’objet d’une évaluation sur trois ans, portant sur l’impact de la rémunération forfaitaire sur le niveau d’adressage vers l’HAD, l’efficacité des nouvelles organisations et collaborations mises en place, et l’effet sur les dépenses d’assurance maladie.
Les enjeux médico-économiques
Pour chaque patient adressé à une structure d’HAD partenaire dans le cadre des TMSC, l’établissement hospitalier percevra un forfait mensuel visant à « compenser » la perte d’activité hospitalière. Le montant demeure en cours d’arbitrage, un arrêté le précisant devrait être publié prochainement. « Cette compensation financière sous-entend que les établissements ont le choix alors que dans un grand nombre de territoires, la suractivité des HDJ est particulièrement conséquente et les établissements sont de plus en plus contraints dans leur accueil. L’expérimentation vise alors à stimuler l’offre en HAD pour la mise en œuvre des traitements anticancéreux, et à lever d’éventuels freins économiques pour les hôpitaux », pointe le Pr Samuel Limat, pharmacien et président de la Commission médicale d’établissement (CME) du CHU de Besançon. Et de poursuivre : « Cette expérimentation semble être la traduction d’une volonté des pouvoirs publics d’accroître la place de l’HAD dans le parcours de santé des patients. Dans de nombreux cas, la qualité de vie des malades sera sensiblement améliorée par le développement de l’HAD. »
L’appui de l’expérimentation sur la cancérologie est emblématique étant donné le potentiel en termes de file active de patients. Cependant, l’enjeu pourrait également porter sur la pédiatrie, la périnatalité ou encore les soins médicaux et de réadaptation (SMR), « la volonté des tutelles étant de désengorger les filières, l’orientation vers l’HAD permet également de générer des économies sur les tarifs et sur le transport », rappelle le Pr Limat. Cette expérimentation, incitative, pourrait être annonciatrice, à terme, d’une refonte des tarifs. « Certes, il s’agit de diminuer la pression sur les HDJ, mais cette volonté d’élargir les parcours en autorisant l’administration des traitements actifs à domicile traduit une volonté de redistribuer les cartes économiques », estime le Pr Limat. Cette décision représenterait la suite logique de l’évolution des parcours en cancérologie depuis les années 1990 avec d’abord le passage de l’hospitalisation continue à l’HDJ, puis le déploiement des traitements per os dans les années 2010 et désormais la prise en charge en HAD.
Les ajustements organisationnels
La mise en œuvre implique toutefois des adaptations. Comme le rappelle l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (ANAP) dans son rapport « HAD : (r)évolutions en cours, innovations mondiales, défis français » d’avril 2025, si la France se distingue sur le plan international en matière d’HAD, son modèle repose toutefois sur une proportion plus importante de prises en charge de pathologies chroniques comparé à d'autres systèmes. En matière d'activité, la France se situe au premier rang des journées réalisées en HAD. Toutefois, ramené à la population, l'écart se réduit avec l'Australie et l'Espagne. Sur le plan international, les programmes d'HAD se caractérisent par la prise en charge de soins très techniques. En France, les cas médicaux sont particulièrement différents. En journée : soins palliatifs (28 %), pansements complexes (25,5 %), traitements intraveineux (5,9 %), soins de nursing lourds (5,6 %), pédiatrie (5,4 %), chimiothérapie (3 %) et transfusion sanguine (0,1 %).
Cette expérimentation se met en œuvre alors que les structures d’HAD viennent d’absorber la réforme des autorisations de leurs activités. « L’hétérogénéité du secteur de l’HAD est réelle, rappelle le Pr Isabelle Borget, PU-PH, pharmacien et économiste de la santé. Certaines structures sont totalement privées, d’autres sont rattachées à des hôpitaux et entre les deux, les modèles sont multiples et les disparités territoriales fortes, ce qui rend cette expérimentation d’autant plus compliquée à mettre en œuvre. » De surcroît, tous les établissements hospitaliers ne disposent pas de la chaîne de soins pour établir les parcours. « L’HAD va devoir s’en saisir », estime le Pr Limat. Cette alternative, qui se veut prometteuse pour améliorer la qualité de vie des patients implique, d’un point de vue organisationnel, que les services hospitaliers et les HAD se mettent en ordre de marche, à la fois en termes de compétences, afin de dispenser des soins particulièrement techniques, mais aussi pour absorber le flux de nouveaux patients. Pour les PUI, l’enjeu organisationnel est également conséquent puisque la préparation des traitements demeure à leur charge. « Les PUI vont devoir adapter leurs organisations pour les traitements afin de les mettre à disposition des HAD dans le cadre de ce nouveau parcours, ce qui implique une anticipation, un transport vers le domicile, et de penser les conditions ainsi que les durées de stabilité », prévient le Pr Limat, qui plaide, à plus long terme, pour la promotion de doses standardisées pour un maximum de médicaments anticancéreux, voire une révision du statut de certaines molécules, pour aller vers un « prêt à l’emploi » pour le domicile. Sur le plan pharmaceutique, le développement de l’HAD repose également la question des durées de stabilité des préparations, souvent restrictives dans les dossiers d’AMM.
Ce type d’organisation existe déjà en France, avec un historique important dans certaines structures : les retours d’expérience montrent à la fois l’intérêt et la faisabilité de l’HAD en cancérologie, mais soulignent également les exigences organisationnelles de tels parcours.
Les trois points à retenir
- Une expérimentation pour favoriser l’Hospitalisation à domicile (HAD) en oncologie
Un décret du 5 février 2025 et un arrêté du 14 mars mettent en place une expérimentation visant à encourager les établissements hospitaliers à orienter les patients vers l’HAD pour leurs traitements de chimiothérapie injectable. Les établissements participants recevront une rémunération forfaitaire mensuelle par patient. L’objectif est de désengorger les hôpitaux de jour (HDJ) et de mieux répartir les soins. - Des enjeux économiques et structurels pour le système de santé
Cette initiative traduit une volonté des autorités de réorganiser le parcours de soins afin d’améliorer la qualité de prise en charge, mais aussi de réviser le modèle médico-économiques. Elle pourrait annoncer, à terme, une refonte des tarifs hospitaliers. L'expérimentation débute avec certains traitements contre le cancer, mais pourrait s'étendre à d’autres domaines. - Des défis organisationnels pour les structures d’HAD et les PUI
Les établissements d’HAD doivent adapter leurs moyens humains, techniques et logistiques pour accueillir davantage de patients, avec des soins parfois complexes. Les pharmacies hospitalières devront aussi revoir leur circuit de préparation des traitements pour permettre une administration à domicile.
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