Rythmes circadiens et thérapies
Les rythmes circadiens exercent une influence sur le fonctionnement de l’organisme et peuvent avoir un impact sur le développement voire l’aggravation de certaines maladies, dont le cancer2, les maladies cardiovasculaires, neurologiques ou encore les pathologies immunitaires et inflammatoires. La découverte des mécanismes moléculaires expliquant cette régulation a été récompensée en 2017 par le prix Nobel de médecine, décerné à trois scientifiques américains (Hall, Rosbash et Young)3. D’un point de vue physiologique, il a été démontré que les rythmes circadiens régulent de nombreuses fonctions biologiques (prolifération cellulaire, réparation de l’ADN, etc.) mais aussi la pharmacocinétique et la pharmacodynamie de certains traitements4. « Dans le cas des thérapies anticancéreuses, notamment pour certaines chimiothérapies, on utilise les rythmes circadiens pour maximiser l’efficacité du traitement, comme avec l’administration du 5-fluoro-uracile dans le cancer colorectal, décrit le Dr Thierry Landré. Mais concernant les immunothérapies, l’heure d’administration n’a jamais été directement évaluée, même si plusieurs études, très hétérogènes, suggèrent que ce paramètre pourrait améliorer l’efficacité de certains traitements, notamment des inhibiteurs de points de contrôle », poursuit le pharmacien. C’est donc pour aller plus loin dans cette hypothèse qu’une méta-analyse compilant les résultats de plusieurs études a été menée.
Meilleure efficacité lors d’une administration matinale
Cette méta-analyse a porté sur 13 études rétrospectives rassemblant un total de 1663 patients sur l’ensemble des continents, atteints de différents cancers [cancer du poumon non à petites cellules (47 %), carcinome rénal (24 %), mélanome (20 %), cancer urothélial (5 %) et carcinome de l’œsophage (4 %)] et traités par une immunothérapie (anti-PD1 ou anti-PDL1, parfois couplé à un anti-CTLA4). Dans chacune de ces études, l’heure d’administration était renseignée plus ou moins clairement, conditionnée par la logistique hospitalière, la disponibilité des patients et des praticiens, ainsi que l’état clinique des patients. « Les résultats sont clairement en faveur d’une administration le matin, à la fois pour la survie sans progression mais aussi pour la survie globale, et ce, quel que soit le type de cancer observé », résume le Dr Landré.
Pour expliquer cette observation, il avance une hypothèse : « la durée de vie des immunothérapies est très longue, de l’ordre de 3 à 4 semaines. Comment, dès lors, un produit qui perdure aussi longtemps dans l’organisme peut-il avoir un effet différent selon qu’on le perfuse le matin ou l’après-midi ? La réponse est à chercher du côté des rythmes circadiens des cellules immunitaires5,6. On observe une prolifération des lymphocytes T le matin, avec probablement une expression accrue de PD1. Il est envisageable que l’injection de l’immunothérapie le matin conduise à une saturation maximale des récepteurs présents sur les lymphocytes T, ce qui rend l’efficacité optimale à ce moment de la journée ».
Pour valider les résultats observés dans la méta-analyse, des études randomisées avec administration des traitements à différents moments de la journée sont nécessaires. Et les premiers résultats commencent à émerger : au dernier congrès de l’American society of clinical oncology (ASCO), qui s’est tenu à Chicago début juin, une étude randomisée7 menée sur 210 patients atteints d’un cancer du poumon non à petites cellules a montré une survie sans progression de 13 mois pour le groupe traité le matin contre 6,5 mois pour le groupe ayant reçu le traitement l’après-midi. « C’est une véritable révolution, car on parle de doubler la survie sans progression du patient uniquement en modifiant l’heure d’administration de l’immunothérapie », s’enthousiasme le Dr Landré. Un PHRC mené par une équipe française, baptisé IMMUNOTIME8, est en cours sur une cohorte multicentrique de patients atteints de cancers métastasiques du poumon. Une troisième étude, menée outre-Atlantique porte sur le mélanome9.
Un impact sur les pratiques, des conséquences organisationnelles à venir
Si l’influence des rythmes circadiens sur l’efficacité des inhibiteurs des points de contrôle immunitaire tend à se confirmer en faveur d’une administration matinale, les pratiques cliniques pourraient s’en trouver bouleversées sans coût supplémentaire, avec un réel bénéfice pour le patient en termes de qualité de vie et de gain en survie.
L’heure de l’administration des traitements pourrait devenir un paramètre thérapeutique clé : « cela demandera nécessairement de la coordination en amont entre les prescripteurs oncologues et les pharmaciens pour préparer les traitements, la veille, voire deux ou trois jours avant compte tenu de la stabilité des traitements, pour pouvoir administrer les injections à chaque patient avant le début d’après-midi », précise le Dr Landré. Sans oublier que cette pratique requiert également un nombre de lits suffisant ainsi que des infirmiers en nombre.
Ce changement de paradigme pourrait s’accompagner d’une autre révolution attendue : l’arrivée sur le marché d’immunothérapies administrées par voie sous-cutanée10, ce qui pourrait même faire entrer l’immunothérapie dans le cadre de l’hospitalisation à domicile (HAD). Ces évolutions laissent entrevoir un tournant majeur dans les pratiques oncologiques, porté par la convergence entre innovation thérapeutique, personnalisation des soins et adaptation aux rythmes biologiques.
- Effect of immunotherapy-infusion time of day on survival of patients with advanced cancers : a study-level meta analysis. Landré et al. ESMO Open - 2024 Feb;9(2):102220
- Circadian Rhythm Disruption Promotes Lung Tumorigenesis. Papagiannakopoulos et al. Cell metabolism 2016 Aug 9;24(2):324-31.
- L’horloge circadienne à l’heure Nobel. Klarsfeld et al. Médecine/sciences Volume 34, Number 5, Mai 2018
- Dosing-time makes the poison : circadian regulation and pharmacotherapy. Trends Mol. Med. 2016 May;22(5):430-445.
- Circadian tumor infiltration and function of CD8+ T cells dictate immunotherapy efficacy. Wang et al. Nature immunology. Vol.25. Jul 2024- 1257-69.
- Circadian control of tumor immunosuppression affects efficacy of immune checkpoint blockade. Fortin et al. Nature Immunology. 2024 Jul;25(7):1257-1269.
- Randomized trial of relevance of time-of-day of immunochemotherapy for progression-free and overall survival in patients with non-small cell lung cancer. Zhang et al. Meeting abstract 2025 ASCO annual meeting. Journal of Clinical Oncology, vol. 43, number 16 supp.
- Évaluation de l’effet de la durée d’administration en première intention du pembrolizumab en monothérapie ou en association avec le Carboplatine Pemetrexed sur l’activité dans le cancer du poumon métastatique non squameux. Essai de phase III randomisé et multicentrique. Etude menée par Boris Duchemann, hôpital Avicenne (AP-HP) dans le cadre d’un PHRC de cancérologie.
- The TIME trial: Phase II randomized controlled trial of time-of-day–specified immunotherapy for advanced melanoma. Qian et al. Journal of Clinical Oncology 2025 43:16_suppl, TPS9601-TPS9601
- Subcutaneous versus intravenous pembrolizumab, in combination with chemotherapy, for treatment of metastatic non-small-cell lung cancer: the phase III 3475A-D77 trial. Felip et al. Ann Oncol 2025 Jul;36(7):775-785.
Les trois points à retenir
- L’efficacité des immunothérapies dépend de l’heure d’administration
Des études suggèrent qu’administrer une immunothérapie le matin améliorerait la survie sans progression et la survie globale des patients atteints de cancer, par rapport à une administration l’après-midi. - Les rythmes circadiens influencent la réponse immunitaire
Les cellules immunitaires, comme les lymphocytes T, suivent un rythme biologique quotidien. Leur activité et l’expression de certains récepteurs varient au cours de la journée, ce qui pourrait expliquer pourquoi l’heure d’injection modifie l’efficacité du traitement. - Des implications concrètes pour l’organisation des soins
Si ces résultats sont confirmés par des études randomisées, l’heure d’administration des traitements pourrait devenir un paramètre thérapeutique à part entière, impliquant une réorganisation des hôpitaux.
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