La loi de mai 2023 relative aux Jeux olympiques et paralympiques* définit les conditions d’exercice des professionnels de santé au sein de la polyclinique. Quelle a été l’organisation de la PUI temporaire, dont vous avez pris la responsabilité ?
Jennifer Le Grand : Les chefs de service de la polyclinique étaient tous des salariés de l’AP-HP. Le poste m’a été proposé en raison de la proximité de l’hôpital Bichat avec le village olympique. Au sein de la PUI, 25 pharmaciens issus du groupe hospitalo-universitaire Nord-Paris Université se sont relayés. Le schéma organisationnel prévoyait la présence d’au moins un pharmacien de l’AP-HP sur les horaires d’ouverture de la polyclinique, qui s’étendaient de 7 h à 23 h, 7 jours sur 7, du 12 juillet au 10 septembre. Tous étaient éligibles à la prime JO destinée aux soignants mobilisés pour l'événement. Nous avons également pu compter sur dix pharmaciens et neuf préparateurs bénévoles officinaux ou hospitaliers, sélectionnés par le comité olympique en lien avec les Ordres de santé et l'AP-HP. Parmi eux, des pharmaciens fraîchement retraités et des jeunes docteurs. Certains pharmaciens et préparateurs venaient d’autres pays notamment d’Angleterre et d’Allemagne. Chacun devait s’engager à être présent au moins huit jours.
Le centre de santé du village olympique a ouvert ses portes le 18 juillet. Quelles étapes ont précédé ce moment fatidique ?
J.L.G. : Une partie de l’équipe des pharmaciens de l’AP-HP a été sur place dès le 24 juin, et ce, jusqu’au 14 septembre. La polyclinique a pris place entre les murs d’une école d’ostéopathie et de podologie, la PUI se retrouvant dans le self ! Il a donc fallu préparer et organiser cet espace où il n’y avait que des cloisons puis, à l’issue des Jeux, tout démonter. Dans un premier temps, nous nous sommes donc transformés en déménageurs pour réceptionner les nombreuses commandes de médicaments et de dispositifs médicaux qui devaient alimenter les besoins de la polyclinique, et ceux des sites de compétition et d’entraînement d’Île-de-France. Pour ces derniers, nous avons dû préparer en amont 82 sacs d’urgence comprenant 145 références de médicaments et de dispositifs médicaux en plusieurs exemplaires, pour permettre aux soignants des sites de compétition de prendre en charge les urgences. En complément, nous avons préparé des dotations de médicaments et de dispositifs médicaux stockés dans les postes médicaux des sites de compétition. Il a fallu être opérationnel très rapidement.
Quid de la constitution des stocks ?
J.L.G. : Les listes définitives des médicaments et dispositifs médicaux ainsi que les quantités nous ont été transmises tardivement par le Comité d’organisation des Jeux Olympiques et paralympiques de Paris 2024 à savoir en mai. Mais le travail de préparation des listes a fait l’objet, bien en amont, de nombreux allers-retours entre nos collègues de l’Ageps et le Comité d’organisation.
Lise Charmet-Delaoutre : Nos échanges avec le Comité d’organisation des JO ont débuté dès 2022. L’activité menée à l’AP-HP n’était pas tout à fait similaire à celle de la polyclinique. D’abord, parce qu’elle se situe à la frontière de la ville et de l’hôpital. Ensuite, il fallait également prendre en compte les spécificités liées aux modes de prise en charge des autres pays. Nous avons donc mené un important travail de recensement pour déterminer si nous avions déjà les médicaments et dispositifs médicaux au marché, la quantité requise, ou s’il fallait passer un nouveau marché. Ce fut un travail de longue haleine qui a impliqué de nombreux échanges avec les référents médicaux de la polyclinique. Nous avions par exemple identifié une catégorie de médicaments que nous ne fournissions pas habituellement et pour laquelle nous ne souhaitions pas passer de marché pour un seul mois. Pour ces besoins très spécifiques, nous nous sommes approvisionnés auprès d’un grossiste répartiteur pour qu’il fournisse les produits en direct. Les dispositifs médicaux étaient quant à eux commandés directement par la PUI de la polyclinique sur la base des marchés existants ou de ceux passés spécifiquement. Ce travail a notamment permis d’alimenter l’arrêté fixant la liste des médicaments délivrés par la PUI et de cadrer la prescription notamment pour les médecins des délégations étrangères qui, sans numéro RPPS, ne peuvent prescrire en France. Beaucoup de médicaments habituellement non utilisés à l’hôpital et disponibles en officine de ville ont été dispensés par la PUI de la polyclinique.
Quel a été l’impact sur l’organisation de l’AP-HP durant ces deux ans de préparation et pendant les JO ?
L.C.D : L’objectif a été de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’impact sur la qualité de service rendu aux PUI des sites, qu’il s’agisse de la continuité des marchés ou des approvisionnements. Nous avons ainsi mené des réunions avec les fournisseurs pour les sensibiliser aux contraintes logistiques de la période, et négocié avec eux, afin que leur propre réorganisation durant les JO, se répercute le moins possible sur celle des sites. Cela a représenté un temps important de contacts, réunions et réponses aux questions en amont, mais cet engagement a porté ses fruits.
Entre le village olympique et les sites de compétition, comment avez-vous géré les approvisionnements ?
L.C.D. : Nous avons livré la PUI en plusieurs fois, de manière massive, avant les JO. Les contraintes de sécurité étaient telles qu’il aurait été difficile de livrer de gros volumes, une fois le village fonctionnel.
J.L.G. : Les demandes de réapprovisionnement des réserves pharmaceutiques sur les sites de compétition étaient transmises par des équipes médicales de Paris 2024 à l’équipe de la PUI. Globalement, nous étions à quelques réassorts par semaine sur de faibles volumes. Le travail de réapprovisionnement est resté limité.
Quelle était la prise en charge pour les athlètes sous traitement ?
J.L.G. : Les médicaments de la PUI étaient destinés aux patients (athlètes et leurs équipes) souffrant de pathologies aiguës. La consigne avait été donnée aux délégations de venir avec la totalité de leur traitement. Il y a eu quelques oublis. Nous avons répondu aux besoins dans la limite de la liste des médicaments établie par Paris 2024. Pour les médicaments hors liste, le patient était dirigé vers une pharmacie d’officine.
Comment cette organisation s’est-elle articulée avec l’afflux de touristes ?
L.C.D. : Ce sont deux gestions différentes. La polyclinique était uniquement accessible aux athlètes et aux délégations. Les postes de santé l’étaient également prioritairement même si, en cas de besoin, les spectateurs pouvaient y être orientés. En parallèle, certains hôpitaux, du fait de leur proximité avec les sites olympiques, ont été fléchés pour accueillir les athlètes et membres des délégations ayant besoin d’être hospitalisés. Mais cela n’a pas entraîné de gestion particulière des stocks. Les JO et le flux de touristes ont surtout entraîné des répercussions sur la circulation mais nous avions anticipé, décalant au besoin nos jours de livraisons dans les établissements.
Quels enseignements tirez-vous de cette expérience ?
J.L.G. : Nous avons déjà vécu des périodes exceptionnelles sur le plan sanitaire mais là, c’était inédit tant dans l’organisation que dans la finalité ! Ce fut l’occasion de travailler d’une manière différente avec les équipes de l’AP-HP et, d’une certaine manière, de renforcer les liens. C’était une chance de vivre les JO depuis le village olympique. L’organisation de la polyclinique, la gestion d’une équipe cosmopolite, les échanges avec des patients sportifs de haut niveau… Ce fut une expérience riche tant sur le plan humain que professionnel. J’ai beaucoup appris.
L.C.D. : C’est intéressant de travailler sur un contexte exceptionnel qui n’est pas celui d’une crise. Ce type d’expérience nous fait gagner beaucoup de souplesse. Nous allons essayer de produire un retour d’expérience sous forme d’une documentation que nous transmettrons volontiers aux prochaines équipes pour l’organisation des JO d’hiver 2030. Les comités olympiques sont éphémères. Il est parfois difficile d’avoir une base de travail héritée des précédentes éditions. Nous allons formaliser par écrit tout ce qui pourra faire gagner du temps sur l’articulation entre le réglementaire, l’organisation hospitalière, pharmaceutique et celle des JO. Nous fournirons tous les éléments sur les listes de médicaments. Il restera des marges d’adaptation, mais cela donnera une idée plus claire sur les volumes de médicaments ou encore sur ce qui est géré par les délégations. Tout cela s’inscrit aussi dans une logique de consommation durable des médicaments. Une partie des stocks de médicaments et dispositifs médicaux non utilisés ont été repris par les PUI du GHU Nord. Les références qui n’ont pu être reprises car non utilisées à l’hôpital ont fait l’objet de dons à des organisations humanitaires.
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