Le rôle du microbiote
Le microbiote intestinal se définit comme l’ensemble des micro-organismes (bactéries, mais aussi virus et champignons) qui colonisent le tractus digestif, de la bouche à l’anus. Composé de près de 50 000 milliards de micro-organismes, soit autant en nombre que de cellules dans le corps humain, il ne pèse qu’environ 1,5 kg mais remplit différentes fonctions essentielles dans l’organisme.
Il participe à la digestion des composés de l’alimentation humaine qui sont insensibles à nos enzymes, tels que les composés d’origine végétale (fibres, polyphénols). À titre d’exemple, la cellulose est dégradée par des bactéries cellulolytiques, qui possèdent 20 gènes spécifiques capables de produire autant d’enzymes impliquées dans la dégradation des fibres de cellulose.
Il joue un rôle dans la protection contre les pathogènes. En occupant la niche écologique de l’intestin, il empêche d’autres bactéries de s’y installer.
Il soutient le système immunitaire en le stimulant et l’éduquant. C’est notamment au moment de la naissance, lors d’un accouchement par voie basse, que le microbiote intestinal commence sa mission. Il va, tout le long de la vie d’un individu, interagir avec le système immunitaire pour maintenir un équilibre entre tolérance (par exemple face aux antigènes alimentaires) et défense (vis-à-vis des pathogènes).
Il remplit une fonction de dialogue entre les organes, notamment les axes intestin-foie et intestin-cerveau, en sécrétant des molécules telles que la sérotonine, la dopamine ou encore l’acide gamma amino-butyrique (GABA).
La dysbiose
Lorsque le microbiote intestinal se déséquilibre, on parle de dysbiose. Ce terme désigne à la fois une altération qualitative et quantitative du microbiote, conduisant à un trouble fonctionnel.
Plusieurs facteurs peuvent conduire à une dysbiose :
les infections et maladies (notamment les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin - MICI),
le mode de vie (alimentation pauvre en fibres, riche en sucre, stress, consommation excessive d’alcool, de tabac),
l’exposome, notamment la pollution environnementale, les additifs alimentaires, etc.,
Si la dysbiose s’accompagne de signes cliniques évocateurs (notamment digestifs), elle peut aussi être corrélée à des symptômes systémiques (fatigue, troubles métaboliques ou inflammatoires) voire neurologiques (anxiété, dépression, troubles cognitifs). Pour la qualifier biologiquement, certains tests existent mais ne sont pas encore standardisés. Les outils les plus aboutis utilisent le séquençage qui permet d’identifier les espèces bactériennes, mais il n’existe pas encore véritablement de carte d’identité complète du microbiote, ni de processus qui en fasse un outil de routine dans le diagnostic et la pratique médicale.
Focus sur les médicaments pouvant conduire à une dysbiose1
Les antibiotiques : ils détruisent les pathogènes-cibles mais aussi les bactéries du microbiote. Même si celui-ci est remarquablement résilient – il peut se reconstruire quelques semaines après l’arrêt du traitement – c’est la répétition qui peut irrémédiablement altérer la composition du microbiote. Sans compter que sa destruction favorise l’apparition de pathogènes indésirables, à l’image de Clostridium difficile qui sait profiter d’un espace écologique libéré par un traitement antibiotique et peut être menaçante si elle présente elle-même une résistance aux antibiotiques.
Les inhibiteurs de pompes à proton (IPP) : en augmentant le pH de l’estomac, ils permettent le passage de bactéries de la sphère orale vers l’intestin.
Les psychotropes : soit parce qu’ils ciblent certains neurotransmetteurs, habituellement synthétisés par certaines bactéries du microbiote, soit parce qu’ils influent sur la motilité intestinale (ralentissement notamment).
Les médicaments qui influent sur le transit intestinal (en l’accélérant ou le ralentissant). Ils ont vocation à gérer diarrhée ou constipation en agissant sur la motilité intestinale ou la réabsorption d’eau (une fonction clé du côlon).
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) qui peuvent avoir un effet toxique direct sur certaines populations bactériennes en augmentant la perméabilité intestinale.
Mais aussi les statines, les traitements médicamenteux du diabète et les thérapies anticancéreuses.
Comment réguler le microbiote ?
Une fois la dysbiose installée, comment rétablir l’équilibre (l’eubiose) ?
Par l’alimentation : elle est la source des prébiotiques (fibres) qui servent de « nourriture » aux bactéries du microbiote.
Par la prise de probiotiques : ils peuvent être apportés par l’alimentation (yaourts, aliments fermentés) mais aussi par les médicaments ou les compléments alimentaires (Saccharomyces boulardii est le seul probiotique qui bénéficie d’une AMM).
Par l’adaptation médicamenteuse : connaissant l’action délétère de certaines spécialités sur le microbiote, il peut être intéressant d’en avoir une utilisation raisonnée quand c’est possible (antibiotiques, IPP, etc.).
Par la transplantation fécale. Cette technique consiste à transplanter un microbiote de donneur sain chez un malade. C’est notamment un traitement reconnu de l’infection à Clostridium difficile récidivante ou réfractaire aux thérapeutiques conventionnelles.
L’incidence sur les maladies
Les chercheurs étudient de plus en plus le lien potentiel entre la survenue de certaines pathologies et une dysbiose du microbiote. Le champ d’investigation est immense.
Dans les MICI (maladie de Crohn et rectocolite hémorragique), les chercheurs ont identifié qu’une dysbiose pouvait être en cause dans la survenue de la maladie2.
Ils suspectent le microbiote de jouer un rôle dans l’apparition de certaines pathologies neurologiques : maladie d’Alzheimer3, de Charcot4, Parkinson5 et même autisme6 notamment par le biais de l’axe microbiote-cerveau. Chez des souris axéniques (élevées stérilement de façon à être dépourvues de microbiote), on parvient à reproduire certains symptômes de ces maladies en leur transplantant le microbiote d’individus malades7.
Dans le cas de l’obésité ou du diabète8, les scientifiques soupçonnent une dysbiose d’être impliquée dans l’apparition de la maladie.
Nombreuses sont les études qui mènent des investigations concernant un lien entre microbiote et maladie : il faut cependant garder à l’esprit que le microbiote ne fait pas tout et qu’il ne serait qu’un des facteurs impliqués dans l’apparition des maladies, aux côtés des facteurs génétiques et environnementaux notamment. Il faut ainsi considérer les influences respectives de l’être humain et du microbiote dans leur ensemble. Plus que le microbiote à lui seul, les recherches récentes montrent que c’est davantage la qualité de relation entre l’individu et ses microbes qui compte9.
L’incidence sur les traitements
Les médicaments peuvent déréguler le microbiote. À l’inverse, le microbiote peut jouer un rôle sur l’efficacité ou non de certaines thérapies. On a ainsi identifié dans le cas des traitements contre le cancer que le microbiote pouvait conditionner l’efficacité de certains traitements. L’analyse du microbiote renseignerait sur les chances du succès du traitement et la reconstruction du microbiote augmenterait l’efficacité des traitements.
Les pistes de recherche sur le microbiote en lien avec certaines pathologies suscitent d’immenses espoirs de thérapies à base de bactéries-médicaments : de nombreux essais cliniques sont en cours, par exemple pour le traitement de la rectocolite hémorragique10, ou celui, plus abouti, concernant le traitement des complications de la maladie aiguë du greffon contre l’hôte11.
Avec la contribution du Pr Joël Doré, Directeur de recherche à l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement français (INRAE) et coordinateur scientifique du projet The French Gut, qui explore de nombreuses facettes du microbiote intestinal.
- Maier et al. Extensive impact of non-antibiotic drugs on human gut bacteria, Nature (2018) 555:623–628.
- Seksik et al. Alterations of the dominant faecal bacterial groups in patients with Crohn’s disease of the colon. Gut (2003) 52(2):237-242.
- Grabrucker et al. Microbiota from Alzheimer's patients induce deficits in cognition and hippocampal neurogenesis. Brain (2023) Dec 1;146(12):4916-4934
- Sulfur Metabolites Linked to Neurodegenerative Diseases (https://asm.org/press-releases/2024/june/sulfur-metabolites-linked-to-neurodegenerative)
- Zacharias et al. Microbiome and Metabolome Insights into the Role of the Gastrointestinal–Brain Axis in Parkinson’s and Alzheimer’s Disease: Unveiling Potential Therapeutic Targets, Metabolites (2022) Dec 5;1(12)2:1222
- Kang et al. Autism Spectrum Disorder as a Brain-Gut-Microbiome Axis Disorder. Microbiome (2017) Jan 23;5(1):10
- Kang et al. Microbiota Transfer Therapy alters gut ecosystem and improves gastrointestinal and autism symptoms: an open-label study. Microbiome (2017) 2017 Jan 23;5(1):10
- Lee et al. Gut microbiome and its role in obesity and insulin resistance. Ann NY Acd Sci (2020) Feb;1461(1):37-52
- Van de Guchte, Blottière et Doré. Humans as holobionts : implications for prevention and therapy. Microbiome (2018). 6:81
- Van de Guchte, Mondot et Doré. Dynamic Properties of the Intestinal Ecosystem Call for Combination Therapies, Targeting Inflammation and Microbiota, in Ulcerative Colitis. Gastroenterology (2021); 161:1969-1981.
- Essai clinique de phase III pour MaaT013 - https://www.maatpharma.com/wp-content/uploads/2024/10/241015_CP-MAAT-PHARMA-ARES-Fin-Recrutement-VF-1.pdf
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