À l’origine de la phagothérapie
La phagothérapie est une thérapie qui utilise des virus, les bactériophages (phages), qui s’attaquent spécifiquement aux bactéries, pour les détruire. Ces virus sont naturellement présents dans l’environnement, là où l’on trouve des bactéries. Cette thérapie n’est pas nouvelle, puisqu’elle a été découverte en 1917 par Félix d’Hérelle, un biologiste français, dont les travaux ont été utilisés pour soigner des soldats souffrant de dysenterie. Progressivement occultée par les travaux sur l’antibiothérapie initiés par Alexander Fleming et l’avènement des anti-infectieux jugés tout-puissants, la phagothérapie n’a plus été utilisée sauf en Géorgie où Felix d’Hérelle s’était brièvement établi en créant un institut de la phagothérapie et dans les années 1960 à l’hôpital de la Croix-Rousse et l’Institut Pasteur de Lyon.
Un usage spécifique
En France, le Centre de référence des infections ostéo-articulaires complexes (CRIOAc) de Lyon1 travaille sur la phagothérapie pour la prise en charge des patients atteints d’infections de prothèses ou ostéo-articulaires complexes, avec une société privée fabriquant des phages spécifiquement dirigés contre le Staphylococcus aureus et le Pseudomonas aeruginosa, deux bactéries souvent impliquées dans les infections complexes et résistantes aux antibiotiques. Ce programme de développement clinique dénommé PHAGEinLYON est soutenu par la Fondation des Hospices civils de Lyon2.
Selon le Pr Tristan Ferry, « 50 % des indications de traitements par phages concernent la résistance aux antibiotiques, l’autre moitié est plutôt relative à des germes sensibles persistant sur des implants difficiles à retirer, par exemple le biofilm sur les prothèses ». Certaines indications concernent ainsi des patients présentant des infections de prothèse (genou3), déjà changées plusieurs fois et risquant l’amputation : « il faut vraiment être attentif à la pertinence de l’indication clinique et sélectionner les patients pour lesquels la phagothérapie est attendue comme pouvant être bénéfique », assure-t-il.
L’usage des produits
La Géorgie, où la phagothérapie n’a jamais cessé d’être utilisée, fabrique une grande quantité de phages, mais ceux-ci ne sont pas disponibles en France, car ils ne répondent pas aux standards des normes européennes. Ils peuvent par exemple contenir trop d’endotoxines néfastes pour le patient.
Les phages utilisés dans le programme lyonnais sont obtenus auprès de sociétés privées spécialisées dans la production de phages (extraits de l’environnement puis multipliés et purifiés en laboratoire) ou dans le cadre de partenariat avec d’autres structures (par exemple l’hôpital militaire Reine Astrid de Bruxelles).
Pour chaque patient-candidat, la situation clinique est d’abord discutée en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) nationale pour laquelle le Pr Tristan Ferry a été missionné par le ministère de la Santé pour évaluer la pertinence de l’indication. En cas d’accord, la bactérie responsable de l’infection est caractérisée et envoyée au laboratoire qui produit les phages pour tester leur activité sur la bactérie responsable de l’infection. Il s’agit d’un traitement de précision, individualisé, qui consiste à sélectionner les phages les plus actifs pour maximiser la probabilité de succès.
Une étude mixte Institut Pasteur/Inserm et Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) vient de développer un nouvel outil diagnostique qui pourrait permettre de déterminer le meilleur « cocktail » de phages pour un patient donné4.
Lorsque des phages suffisamment purs ont été identifiés et selon le schéma thérapeutique décidé en RCP, le pharmacien hospitalier est chargé de réaliser les préparations magistrales, conformément aux bonnes pratiques de préparation. « En fonction de la présentation clinique, par exemple si le patient a déjà eu une chirurgie, s’il présente une infection de prothèse ou encore une infection pulmonaire, nous sommes face à différents schémas d’exposition : des injections locales sous échographie complétées d’intra-veineuses pour les infections de prothèse, des aérosols et des intra-veineuses pour les patients atteints d’une infection pulmonaire ou des hydrogels5 en application directe sur la prothèse », complète le Pr Tristan Ferry.
Le centre lyonnais assure aussi une expertise nationale via une habilitation délivrée par le ministère de la Santé. Il centralise ainsi toutes les demandes d’avis de phagothérapie et établit s’il existe une indication pertinente au traitement. Dans ce cas, soit il prend en charge le patient sur place, soit il oriente les équipes à faire le nécessaire au sein de leur propre structure. « Depuis 2017, le centre a déjà délivré 635 avis et traité 96 patients, précise le Pr Tristan Ferry. À titre de comparaison, l’Australie en a traité 29, les Etats-Unis 49. »
Le statut des phages
La principale difficulté rencontrée par la phagothérapie aujourd’hui est l’absence d’Autorisation de mise sur le marché (AMM) des phages pour la prise en charge des infections complexes. Ils ne peuvent donc être utilisés qu’à titre compassionnel c’est-à-dire dans le cadre d’un traitement de dernier recours, face à des infections complexes impliquant des bactéries multi-résistantes (BMR) auxquels les traitements antibiotiques ne répondent pas. En France, les patients peuvent bénéficier de médicaments innovants qui n’ont pas encore d’AMM grâce aux accès dérogatoires. Les phages sont disponibles au titre d’une Autorisation d’accès compassionnel (AAC), délivrée par l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM). Ceux contre le Staphylococcus aureus bénéficient par exemple d’une AAC6 : le laboratoire qui les propose facture à l’hôpital le traitement, qui est pris en charge par l’Assurance maladie. Un laboratoire peut également accepter d’accompagner un patient dans une démarche thérapeutique compassionnelle, c’est-à-dire à titre gratuit, sans facturation.
Les perspectives
L’antibiorésistance étant devenue un enjeu majeur de santé publique – on estime que les BMR touchent chaque année en France plus de 120 000 personnes, occasionnant jusqu’à 5500 décès7 – les phages représentent une piste thérapeutique d’intérêt, à condition de bien cibler les indications thérapeutiques. Des études restent cependant à mener sur les effets indésirables et l’immunisation potentielle du patient contre ces virus.
Les points à retenir
- La phagothérapie repose sur l’utilisation de bactériophages, des virus capables de cibler et détruire des bactéries spécifiques.
- En France, la phagothérapie est principalement utilisée pour traiter des infections ostéo-articulaires complexes et des infections de prothèses. Ce traitement est envisagé en dernier recours pour des patients dont les infections ne répondent plus aux antibiotiques.
- Chaque cas est évalué en réunion de concertation pluridisciplinaire avant la sélection et l’administration des phages adaptés.
- En France, ils sont administrés via un accès compassionnel, sous supervision du ministère de la Santé et de l’ANSM.
- https://www.crioac-lyon.fr/
- Access to phage therapy at Hospices Civils de Lyon in 2022: Implementation of the PHAGEinLYON Clinic program. Ferry et al. International journal of antimicrobial agents, nov. 2024.
- Phage therapy as adjuvant to conservative surgery and antibiotics to salvage patients with relapsing S. aureus prosthetic knee Infection. Ferry et al. Front. Med. 2020.
- Prediction of strain level phage-host interactions across the e.coli genus using genomic information. Gaborieau e tal. Nature Microbiology (octobre 2024).
- The potential innovative use of bacteriophages within the DAC® hydrogel to treat patients with knee megaprosthesis infection requiring “Debridement Antibiotics and Implant Retention” and Soft Tissue Coverage as Salvage Therapy. Front. Med. 2020.
- https://ansm.sante.fr/actualites/phagotherapie-lansm-autorise-un-acces-compassionnel-pour-des-bacteriophages-dans-les-infections-osteo-articulaires
- https://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/18-19/pdf/2021_18-19.pdf
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