« Le cannabis médical recouvre l’usage du cannabis et de ses principes actifs appelés cannabinoïdes tels que le cannabidiol (CBD) et le tétrahydrocannabinol (THC), à des fins thérapeutiques, c’est-à-dire pour soulager des symptômes, notamment la douleur », rappelle d’emblée le rapport. Si l’expérimentation doit permettre de recueillir les premières données concernant l’efficacité et la tolérance de son utilisation chez les patients dans les indications médicales précises définies, ce n’était pas son objet premier. Pour l’ANSM, il s’agissait surtout de valider le circuit de mise à disposition du cannabis thérapeutique.
Besoin de plus de temps
Le rapport intermédiaire du ministère de la Santé est plutôt positif. Il note que le circuit de mise à disposition du cannabis médical est approprié. Et, du côté thérapeutique, le soulagement des douleurs et de certains symptômes est significatif. Enfin, les avis de patients soumis à l’expérimentation et interrogés sont eux aussi positifs.
La DGS n’a toutefois pas proposé de passer l’usage du cannabis thérapeutique dans le droit commun. Elle a annoncé la prolongation de l’expérimentation pour une année supplémentaire afin, entre autres, d’obtenir des données plus robustes, et de pouvoir garantir un meilleur relais de suivi en médecine de ville.
Dans le cadre de l’expérimentation, environ 300 structures volontaires sur tout le territoire ont été mobilisées au départ de l’expérimentation, mais leur nombre n’a fait qu’augmenter. 1 450 patients ont été inclus depuis le 12 novembre 2021. Aujourd’hui, 69 % d’entre eux sont toujours inclus, soit un total de 1 036 patients. Les prescriptions médicales, rédigées sur des ordonnances sécurisées, sont émises par des médecins obligatoirement formés dans ce cadre. Sur le plan réglementaire, l’autorisation de l’usage du cannabis médical à titre expérimental a été délivrée le 26 mars 2021 pour une durée initiale de deux ans.
Les indications thérapeutiques de l’expérimentation
Le comité scientifique mis en place par l’ANSM pour expérimenter l’usage du cannabis à des fins médicales a retenu les cinq indications suivantes pour inclure les patients :
- douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles (médicamenteuses ou non) ;
- certaines formes d’épilepsie sévères et pharmaco-résistantes ;
- certains symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou à ses traitements ;
- situations palliatives ;
- spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou des autres pathologies du système nerveux central.
L’inclusion de patients a été définie par plusieurs critères pour chaque indication, ainsi que des échelles selon les symptômes et la pathologie concernant le suivi (voir la Décision du 26/10/2020 fixant le nombre de patients traités dans chacune des indications thérapeutiques ou situations cliniques retenues pour l’expérimentation prévue à l’article 43 de la loi no 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020).
Les formes d’administration du cannabis
Les huiles administrées par voie orale et les sommités fleuries de cannabis à vaporiser pour inhalation ont été retenues et validées par l’ANSM. La voie fumée a été formellement exclue. Différentes proportions de THC (tétrahydrocannabinol) et de CBD (cannabidiol) sont disponibles au sein des formules et laissées à l’appréciation du prescripteur. Toutefois, la forme CBD seul est le plus souvent prescrit à l’initiation du traitement. À noter que les médicaments utilisés pour l’expérimentation sont fournis à titre grâcieux par les industriels pour toute la durée de l’expérimentation.
Des PUI au cœur du dispositif
Les pharmaciens des PUI dans les structures référencées et les pharmaciens d’officine sont des acteurs importants de cette expérimentation. « L’expérimentation visant surtout à vérifier la faisabilité du circuit, le pharmacien est central puisqu’il s’occupe de ce circuit à 100 %, explique Rémy Tordjeman, pharmacien assistant spécialiste en gestion des médicaments de thérapies innovantes (MTI) à l’hôpital Saint-Louis (AP-HP), au moment de l’expérimentation (maintenant en poste à l’hôpital privé à but non lucratif Saint-Joseph de Paris). Notre rôle est en effet d’assurer la gestion des stocks, la validation des ordonnances, la dispensation au patient, mais aussi de les informer et les conseiller sur la prise du médicament, ses éventuels effets indésirables et secondaires. » Pour Rémy Tordjeman, la gestion du cannabis médical s’intègre bien à la PUI : « En raison de son statut, il est géré comme les autres stupéfiants avec une conservation dans un coffre sécurisé, une dispensation spécifique avec numéro d’ordonnancier, etc. Cependant, à chaque dispensation, il faut remplir le registre de l’ANSM nous demandant des informations sur notre manière de gérer les stocks, sur la dispensation en elle-même ainsi que sur la toxicité et l’efficacité pour le patient. » Le pharmacien joue également un rôle clef en matière de contre-indications et d’interactions médicamenteuses, d’où l’importance de sa collaboration avec le prescripteur.
Une formation spécifique indispensable
Les pharmaciens concernés par l’essai ont suivi une formation préalable obligatoire, « un peu fastidieuse mais indispensable », pour Rémy Tordjeman comme pour Ariane Bros, interne en Pharmacie, Hôpital Saint-Louis (AP-HP) : « En suivant le DU cannabis médical, j’ai pu constater que ce sujet n’était pas très connu de la part des professionnels de santé, médecins comme pharmaciens. La formation est un peu longue, mais elle apporte des données importantes sur les cannabinoïdes, leur pharmacocinétique ou encore leur dispensation qui sont indispensables au pharmacien. » Et de préciser que « les médecins de mon DU me disaient eux-mêmes qu’ils tâtonnaient beaucoup pour la prescription de ces médicaments à base de cannabis, en raison de la nouveauté et des interactions médicamenteuses auxquelles il faut être vigilant. »
Une efficacité au cas par cas
Pour Rémy Tordjeman, l’efficacité des traitements au cannabis médical se juge au cas par cas. L’hôpital Saint-Louis a choisi de s’engager dans l’expérimentation avec des patients en soin de support en oncologie et soins palliatifs. « Pour certains patients, il n’y a eu aucune efficacité, tandis que d’autres ont arrêté rapidement en raison des effets indésirables tels qu’apathie et sommeil. En revanche, pour d’autres, les résultats sont vraiment positifs, avec des doses assez faibles de cannabis médical, qui ont eu des effets importants alors qu’aucune autre molécule (opioïde, morphinique, oxycodone, etc.) n’avait plus aucun effet ». Il s’agit toutefois de résultats expérimentaux et préliminaires.
Des premiers résultats encourageants
Au 31 mars 2022, soit quasiment un an jour pour jour après le début de l’expérimentation, 1 450 patients avait été inclus dans l’expérimentation. À cette date, 69 % le sont toujours alors que 28 % sont sortis (effets indésirables, inefficacité ou décès). Le taux de satisfaction globale des patients est jugé important, avec des effets bénéfiques ressentis d’un point de vue physique, psychique et sur la qualité de vie.
Les douleurs neuropathiques réfractaires représentent l’indication ayant inclus le plus de patients (51 % de la cohorte). Pour cette catégorie de patients, plusieurs informations chiffrées vont dans le sens d’une expérimentation positive. En effet, 30 % d’entre eux relatent une amélioration globale de leur état de santé après six mois de traitement. Alors que 81 % d’entre eux estimaient la douleur comme « forte à insupportable », six mois plus tard, ils n’étaient plus que 30 % à l’affirmer. Enfin, 60 % des patients souffrant d’anxiété et de dépression à l’inclusion déclarent une amélioration de leur état.
Des améliorations ont également été constatées parmi les autres indications (spasticité douloureuse dans la sclérose en plaques, épilepsie pharmaco-résistante, situations palliatives et symptômes rebelles en oncologie, spasticité douloureuse d’une autre pathologie neurologique).
Pharmacovigilance et addictovigilance
Peu d’évènements indésirables graves ont été signalés. Les données de pharmacovigilance et d’addictovigilance ont montré que ce sont majoritairement des troubles neurologiques, psychiatriques et digestifs qui se sont manifestés. Plus de la moitié de ces symptômes surviennent en début de traitement et sont comparables aux données disponibles sur les médicaments cannabinoïdes disposant d’une AMM.
Sur la période étudiée, aucun cas d’abus et de dépendance avec le cannabis médical n’a été rapporté. Cependant, cette information est à pondérer notamment parce que les antécédents addictologiques des patients étaient délicats à recueillir (refus de la CNIL de collecter ces données jugées sensibles du fait de l’aspect illégal de certaines drogues).
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