Dans la prise en charge du cancer du sein localisé, la chimiothérapie adjuvante dispensée est génératrice d’effets indésirables. Si dans le cas des tumeurs agressives, le bénéfice de cette chimiothérapie est indiscutable, il est débattu dans d’autres situations, notamment dans le cas des cancers à risque de récidive intermédiaire. Pour ces derniers, les oncologues disposent de signatures génomiques, sortes de cartes d’identité de la biologie de la tumeur, qui vont prédire un risque de récidive, donc orienter vers l’intérêt ou non d’une chimiothérapie adjuvante.
Le principe
« Une signature génomique consiste en un dosage de l’expression de certains gènes et vise à établir un risque de récidive, explique le Pr Jean-Yves Pierga, oncologue à l’Institut Curie. Elle ne s’adresse qu’à une certaine catégorie de cancers du sein, à savoir les formes hormono-dépendantes et ne surexprimant pas le récepteur HER2. Sont exclus les cancers triple négatif - environ 15 % des cas de cancers du sein, ainsi que les cancers HER2 positifs, environ 15 % des cas. » En pratique, « l’analyse se fait à partir de tissus tumoraux prélevés lors de la chirurgie. En anatomopathologie, on analyse la tumeur au microscope pour la caractériser. Lorsqu’une signature moléculaire est indiquée, un échantillon de la tumeur est envoyé au laboratoire de biologie moléculaire qui réalise le test », détaille le Dr Natacha Joyon, anatomopathologiste spécialisée dans le cancer du sein à Gustave Roussy. L’ARN est ensuite extrait des cellules tumorales et analysé par RT-qPCR, ce qui permet de mesurer l’expression des gènes d’intérêt. Le résultat est rendu sous la forme d’un score de récidive.
Quatre tests sur le marché français
En France, quatre tests co-existent sur le marché :
- Oncotype Dx : l’analyse est faite par RT-qPCR et porte sur 21 gènes répartis entre gènes de référence et gènes impliqués dans la prolifération ainsi que dans le développement de métastases. L’analyse est conduite par le fabricant du test lui-même. Il s’agit du test le plus répandu.
- MammaPrint : l’analyse est faite via la technique de micro-array ou puce ; 70 gènes sont analysés. Là aussi, l’analyse est centralisée par le fabricant.
- Prosigna-PAM50 : le test analyse une cinquantaine de gènes via une technique d’hybridation ; l’analyse peut être menée directement par le biais de plateformes décentralisées.
- EndoPredict : l’analyse est effectuée en RT-PCR quantitative, sur l’analyse de 12 gènes ; elle peut également être décentralisée.
Chaque test donne un score, pondéré selon les gènes retrouvés, et indique un risque de récidive de développer des métastases à dix ans. Lorsque le score est très bas (défini pour chaque test selon un standard), l’indication de chimiothérapie ne présente pas d’intérêt ; lorsqu’il est élevé, la chimiothérapie ne fait aucun doute.
Plusieurs études prospectives (MINDACT, TAILORx, RxPONDER1) ont confirmé l'utilité des signatures génomiques en sénologie, soulignant que les tests comme Oncotype DX, Mammaprint, peuvent tous fournir des informations précieuses pour évaluer le risque de récidive et guider les décisions thérapeutiques. L'étude TransATAC(2) a montré que ces signatures (Oncotype DX, Prosigna-PAM50, et EndoPredict) pouvaient donner des résultats pertinents mais différents. Le choix du test dépend des recommandations nationales et internationales basées sur des études randomisées.
La population éligible aux tests
En 2019, la Haute Autorité de santé (HAS) a défini la population de femmes éligibles à la signature(3) : il s’agissait de patientes atteintes d’un cancer hormono-dépendant avec une tumeur d’une taille comprise entre 1 et 5 cm (pT1c et pT2) de grade 2, sans envahissement ganglionnaire (pN0) ou un micro-envahissement (pN1mi/pN1), et ce quel que soit leur âge.
Fin 2023, elle a resserré ses critères d’indication(4) : « des études ont en effet démontré que la valeur des signatures était très discriminante chez les femmes ménopausées, mais pour les femmes de moins de 50 ans, les éléments n’étaient pas clairs », explique le Pr Pierga.
Depuis, la HAS estime que :
- chez les femmes ménopausées, la signature génomique est pertinente jusqu'à 70 ans pour des tumeurs sans envahissement ganglionnaire ou avec un envahissement jusqu’au niveau N1 (un à trois ganglions) ; au-delà de 70 ans, elle n'est pas indiquée.
- chez les femmes non ménopausées (ou de moins de 50 ans), elle a réduit l’indication des tests génomiques à deux sous-populations « compte tenu du risque de perte de chance ». Aussi, les signatures génomiques ne sont indiquées que dans le cas de patientes ayant une tumeur de taille pT1c (entre 1 et 2 cm) et pT2 (entre 2 et 5 cm) sans envahissement ganglionnaire (pN0).
Selon ces recommandations, la seule signature génomique indiquée pour les femmes de moins de 50 ans est Oncotype Dx tandis que pour les femmes ménopausées, les quatre signatures peuvent être utilisées.
Remboursement et impact médico-économique
Aujourd’hui, les quatre tests commercialisés en France ne sont pas pris en charge par l’Assurance maladie, mais peuvent être remboursés dans le cadre du Référentiel des actes innovants hors nomenclature – le RIHN. Cette décision prise par la HAS divise la communauté des cancérologues, pour lesquels le bénéfice de ces signatures n’est plus à prouver : « pour moi, l’impact médico-économique est en faveur de la signature génomique car il ne faut pas uniquement considérer le coût de la chimiothérapie, il faut aussi prendre en compte le coût des arrêts maladie, les effets secondaires des traitements, qui nécessitent aussi une prise en charge, etc. Nous avons une étude en cours à Gustave Roussy pour valider ces points », explique le Dr Guyon. En 2023, une étude française menée par le Dr Roman Rouzier(5) a montré un rapport coût-efficacité en faveur de ces signatures génomiques.
Les perspectives
La HAS attend le résultat de deux essais randomisés (analyse finale de RxPonder pour Oncotype Dx(6) et Optima pour Prosigna(7)) pour une actualisation éventuelle de ses recommandations, ainsi que des données de sécurité rassurantes chez les patientes de moins de 50 ans ayant bénéficié d’une désescalade d’un point de vue thérapeutique sur la base d’une signature génomique.
Bibliographie
(1)N Engl J Med. 2016 Aug 25 ;375(8):717-29. doi: 10.1056/NEJMoa1602253.
N Engl J Med. 2018 Jul 12;379(2):111-121. doi: 10.1056/NEJMoa1804710. Epub 2018 Jun 3.PMID: 29860917
(2) Molecular Drivers of Oncotype DX, Prosigna, EndoPredict, and the Breast Cancer
Index: A TransATAC Study, https://doi.org/10.1200/JCO.20.0085 ou AMA Oncol. 2018 ; 4(4) :545-553. doi:10.1001/jamaoncol.2017.5524
(3) Utilité clinique des signatures génomiques dans le cancer du sein de stade précoce - Rapport d'évaluation – 2019
(4) Cancer du sein : la HAS actualise la population éligible à l’utilisation de tests génomiques – Nov. 2023.
(5) Genomic signature to guide adjuvant chemotherapy treatment decisions for early breast cancer patients in France: a cost-effectiveness analysis, Front Oncol. 2023 Jun 23:13:1191943.
(6) Résultats intermédiaires de RxPonder: 21-gene assay to inform chemotherapy benefit in node-positive breast cancer. N Engl J Med 2021 ; 385(25) :2336-47
(7) Essais Optima, recrutements en cours https://optimabreaststudy.com/index.php
Nos actualités
Le comité d'experts indépendants
Fait par des pharmaciens hospitaliers, pour des pharmaciens hospitaliers ! L'ensemble de nos contenus sont pensés et rédigés par un comités d'experts indépendants, cela pour mieux vous accompagner dans vos pratiques quotidiennes.