Économie de la santé
16/09/2021

Réforme de l’accès précoce : ce que disent le décret et la HAS

La réforme de l’accès précoce est entrée officiellement en vigueur le 1er juillet 2021. Le sujet a été au cœur de l’une des émissions PRES 2021 diffusée en juin dernier. Mais il manquait un certain nombre d’éléments qui, depuis, ont été fournis via un décret ainsi que des communications de la Haute Autorité de santé (HAS) et de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Isabelle Borget, pharmacien et économiste de la santé (Institut Gustave Roussy), les a décortiqués et livre ici les points essentiels à retenir des précisions données par ces textes.

Depuis la publication de l’article 78 de la loi du 14 décembre 2020 de financement de la Sécurité sociale pour 2021 actant la réforme de l’accès précoce, ils étaient très attendus. Les décrets d’application contenant une série d’informations et de précisions indispensables à son déploiement sont finalement parus in extremis le 30 juin 2021. Quelques jours auparavant, la HAS, principal nouvel acteur du dispositif, avait actualisé ses éléments de doctrine, en lien avec cette réforme. 

Rappels sur la réforme

Depuis le 1er juillet, l’accès précoce aux médicaments innovants, jusqu’ici géré via six systèmes, est réformé à travers deux nouveaux systèmes : l’accès compassionnel et l’accès précoce. L’accès compassionnel est destiné aux médicaments répondant efficacement à un besoin thérapeutique sans être nécessairement innovants ou destinés à être commercialisés dans l’indication concernée, tandis que l’accès précoce est dédié aux médicaments destinés à l’être. En résumé, l’accès compassionnel remplace les ATUn et RTU, l’accès précoce remplace les ATUc, ATUei, post-ATU et PECT.

À propos des décrets et de l’actualisation de la doctrine HAS

Le décret et la doctrine HAS donnent-ils les réponses manquantes dans la loi aux questions des établissements ?

« Même si ces textes ont été tardifs par rapport à une mise en application au 1er juillet, on y trouve beaucoup de réponses, estime Isabelle Borget. On ne s'attendait pas forcément à autant de détails, autant de précisions. La HAS a par exemple mis à disposition des décryptages sur son site et fait des webinars, dans un laps de temps très court. Par ailleurs, dès le 25 juillet, un premier produit a été évalué. Il faut maintenant attendre les prochains produits pour savoir si le système est bien plus rapide et plus efficace. »

Délais de réponse

En sait-on plus sur les délais et les modalités de réponse une fois qu’un laboratoire a déposé une demande d’autorisation pour l’un ou l’autre système ?

« Les notions de délais sont désormais clairement précisées : l'ANSM et la HAS ont trois mois pour répondre quand le dossier est jugé recevable, éventuellement prolongé d’un mois si le nombre de demandes est exceptionnellement élevé, résume Isabelle Borget. L’ANSM doit d’abord donner un avis sur la balance bénéfice risque : si elle ne répond pas dans les délais, cela vaut refus et en cas d'avis défavorable, la HAS n'aura pas besoin de se prononcer pour les autres éléments. L’absence de réponse de la HAS à l’issue des trois mois vaut accord si l’ANSM a précédemment donné un avis favorable »

Les critères d’évaluation

Concernant les critères d’évaluation de la HAS pour accorder l’accès précoce ou compassionnel, le médicament présenté doit répondre à quatre critères : maladie grave, rare ou invalidante ; absence de traitement approprié ; mise en œuvre du traitement non différable ; présumé innovant.


A-t-on plus de précisions concernant le critère « absence de traitement approprié » ?

« La HAS a précisé la notion d’“absence de traitement approprié“ en actualisant sa doctrine, explique Isabelle Borget. Ainsi, il ne faut pas qu’il existe un médicament : 

  • recommandé au même niveau dans la stratégie thérapeutique (AMM ou hors-AMM) ;
  • remboursé ou pris en charge par la solidarité nationale ;
  • et accessible (sans rupture de stock). 

Concernant le traitement recommandé, il s’agit d’un traitement autorisé (avec AMM et/ou accès précoce) ou un traitement utilisé hors-AMM, au regard des recommandations des sociétés savantes nationales ou internationales ainsi que celles des institutions publiques.

Soulignons l’arrivée de la notion de rupture de stock qui répond bien aux préoccupations du moment. Finalement, nous obtenons une définition plutôt claire de la notion d’“absence de traitement approprié”. Attention, la HAS a précisé que par “traitement“, elle entend traitement médicamenteux ou non médicamenteux. »


Et concernant la notion « présumé innovant » ?

« La réponse n’est pas aussi claire sur ce point, estime Isabelle Borget. Dans sa doctrine du 17 juin, la HAS indique que le caractère “présumé innovant“ est porté par trois notions : 

  • une nouvelle modalité de prise en charge ;
  • des données cliniques minimales ;
  • pas ou peu d’incertitudes importantes sur la tolérance.

Concernant la notion de “nouvelle modalité de prise en charge“, la HAS la définit comme une solution qui “apporte une évolution majeure ou un changement substantiel dans la prise en charge“. Mais, qu’est-ce qu’une “évolution majeure“ ou “un changement substantiel de la prise en charge“ ? Il faudra attendre les premiers dossiers pour voir ce qui est considéré par la HAS comme “présumé innovant“.

Concernant les données cliniques minimales, la HAS insiste beaucoup sur leur importance dans sa doctrine mais précise, via un tableau, que les données demandées ne sont pas les mêmes en fonction du moment où le médicament arrive devant elle (accès précoce, très précoce ou post-AMM) et dans certaines aires thérapeutiques (pédiatrie, infectiologie). Cela signifie deux choses. Tout d’abord, la HAS fera son évaluation au cas par cas en fonction de la maturité du médicament au moment de l’examen du dossier. Puis, l’évaluation sera évolutive et les exigences seront plus importantes lors de l’évaluation suivante pour la reconduction de l’autorisation [lire ci-après]. »

Durée de l’autorisation et fréquence de l’évaluation

Pour combien de temps une demande d'accès précoce est-elle délivrée ?

« L’accès précoce est accordé pour deux ans c’est-à-dire un an renouvelable une fois au maximum, que le médicament ait déjà obtenu son AMM ou non, analyse Isabelle Borget. Il est précisé que le laboratoire devra absolument déposer son dossier de demande d'inscription sur liste dans le mois suivant l'obtention de l'AMM. Cette notion de durée maximale de deux ans est vraiment nouvelle. Et à chaque étape, l’évaluation sera importante. »


À propos d’évaluation, en quoi consiste l’évaluation en continu qui est désormais exigée ?

« De ce que dit le décret et la doctrine de la HAS, on comprend que l’évaluation sera de mise lors de la demande de renouvellement, c’est-à-dire au bout d’un an », précise Isabelle Borget.

Collecte des données

Enfin, dernier sujet qui suscite beaucoup d’inquiétudes de la part des pharmaciens et des établissements : celui de la remontée de données. Que précisent le décret et la doctrine de la HAS ?

« Ils apportent de nombreuses réponses, mais elles ne sont pas forcément rassurantes en termes de charge de travail pour les pharmaciens, prévient Isabelle Borget. Tout d’abord, il semble que c’est aux laboratoires de mettre à disposition des plateformes de remontée de données. Il n’y a aura donc pas de système unifié mais autant de plateformes que de laboratoires ayant des médicaments en accès précoce ou en accès compassionnel. Chaque laboratoire devra produire un rapport de synthèse rédigé, selon une périodicité qui sera établie dans chaque Protocole d’utilisation temporaire et de recueil de données (PUT-RD). Son rapport sera transmis à la HAS et l'ANSM et un résumé sera mis en ligne. Les données seront donc publiques.

Concernant la collecte de données, et donc le travail à faire dans les établissements, on a l’impression d’être très proches des demandes formulées pour les essais cliniques. La HAS demande en effet une qualité et une exhaustivité des données collectées avec un maximum de 10% de données manquantes. Sur le papier, c’est bien, mais cela est très contraignant sur le terrain et il sera difficile d’obtenir un tel score. 

La HAS souhaite la collecte de trois variables maximum : mortalité (si décès) ; critère de jugement principal, identique à celui de l'essai clinique pivot ; et enfin un PROM c’est à dire de la qualité de vie ou un Patients Global Impression of Change (PGIC).

Le tout lors de quatre temps au moins de recueils : lors de l'accès au traitement ; lors de la première administration ; lors des suivis (mais à quel rythme ?) ; puis, en fin de traitement. Il faudra en plus, bien sûr, une grande quantité de données de « safety ». Bref, cela fait beaucoup de données à collecter, tout au long du traitement. »

Fiche-résumé du process vu de l’établissement

Voici l’infographie diffusée par la HAS sur les modalités pratiques de traitement et de suivi des patients (page 6 du document word)

Légende :
Schéma des modalités de recueil des données, de la demande d’un médicament en accès précoce ou en accès compassionnel à la publication du rapport de synthèse, vu de l’établissement de soins demandeur. N.B. : Certains PUT-RD ne nécessitent pas de recueil de données sur la qualité de vie.

Sources : 
• Décret no 2021-869 du 30 juin 2021 relatif aux autorisations d'accès précoce et compassionnel de certains médicaments -  https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043728288
• Guide HAS « Autorisation d’accès précoce aux médicaments : doctrine d’évaluation de la HAS » -  https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-06/acces_precoces_-_doctrine.pdf

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Établi en août 2022