Pharmacotechnie
20/01/2022

« Les PUI doivent envisager l’opportunité que représente la sérialisation »

Pour lutter contre la contrefaçon des médicaments, la Commission européenne a rendu obligatoire la sérialisation pour ceux à Prescription Médicale Obligatoire (PMO). L’ensemble des acteurs de la chaîne de distribution sont donc dans l’obligation de la mettre en œuvre. Si cette obligation est entrée en vigueur en février 2019 en application de la directive européenne de juin 2011, les officines et les pharmacies hospitalières françaises peinent encore à la respecter. Le point avec Philippe Gendre, chef de projet sérialisation chez France MVO, qui assure la gouvernance de la sérialisation.

La sérialisation est vécue comme une contrainte pour grand nombre des pharmaciens hospitaliers. L’entendez-vous ?

Bien sûr, j’entends ce discours. J’ai été pharmacien hospitalier ! Lorsqu’il y a des objections face à une obligation, il faut les écouter afin de comprendre la logique et la raison de cette opposition. Mais en parallèle, à ce jour, je comprends aussi la volonté de la Commission européenne d’instaurer cette obligation. Des éléments importants sont selon moi à prendre en compte afin de saisir cette décision, et ce, d’autant plus que l’on est dans une situation de crise sanitaire. En cette période, nous avons des tensions en termes d’approvisionnement de médicaments, voire des ruptures. Or, lorsque nous sommes face à un produit qui devient rare, deux effets pervers se produisent : une augmentation des prix et/ou le développement d’un marché parallèle avec des acteurs indésirables qui pourraient profiter de la situation. De fait, aujourd’hui, le risque d’introduction de contrefaçons ou de médicaments subtilisés dans la chaîne du médicament, pouvant d’une manière ou d’une autre, revenir chez le dispensateur, est réel.

Le risque est d’autant plus grand qu’au sein de l’Union européenne, les médicaments sont libres de circuler…

En effet ! Le postulat de départ de la création de l’Union européenne repose sur la libre circulation des biens et des personnes. Les médicaments étant un bien, ils peuvent circuler librement. C’est pour cette raison que des acteurs économiques de la distribution pharmaceutique peuvent acheter des médicaments dans les pays où ils coûtent moins chers, pour les revendre dans d’autres, en toute conformité avec la réglementation. 

Donc d’un côté, il est impossible d’empêcher la libre circulation des médicaments, mais de l’autre, il s’agit d’un bien de santé qui doit être protégée.

D’un point de vue sanitaire les autorités européennes ont alors besoin de sécuriser la distribution et la dispensation des médicaments aux patients. 

Le Règlement Délégué qui impose la mise en place de deux dispositifs de sécurité dont la sérialisation, se trouve être une solution pour apporter plus de sécurité à cette liberté de circulation qui s’applique aussi sur le médicament.

En termes de santé publique, quel est l’intérêt pour les PUI de s’astreindre à la sérialisation ?

Les PUI sont soumises aux mêmes risques que tous les acteurs de la chaîne de distribution à la différence près qu’elles reçoivent en même temps de très grandes quantités de médicaments parfois très onéreux et que ces médicaments sont plutôt désactivés à la réception.

France MVO est régulièrement sollicité dans le cadre d’investigations des autorités judicaires ayant saisi des médicaments volés et qui souhaitent savoir d’où ils proviennent. On se rend alors rapidement compte de l’intérêt de la sérialisation. Ces médicaments peuvent avoir été volés ou détournés soit en officine, soit dans des PUI, des zones assez grandes et parfois peu sécurisées. La sérialisation est justement l’un des moyens de protéger de la contrefaçon et de retrouver où ces médicaments ont été volés ou détournés. La contrefaçon peut concerner tous les constituants d’un médicament depuis le principe actif jusqu’au packaging secondaire en passant par les excipients voire la notice. 

À titre d’exemple les autorités européennes ont signalé courant 2021 avoir été alertées que de vrais flacons vides de vaccins contre la Covid 19 non détruits après utilisation, ont été récupérés pour être réutilisés frauduleusement.

Face aux difficultés de mises en œuvre de la sérialisation, comment aider les PUI ?

Les PUI sont face à une contrainte, mais elles doivent envisager l’opportunité que représente la sérialisation, qui oblige à penser différemment leur organisation. Aujourd’hui, si la sérialisation est difficilement vécue, c’est peut-être parce qu’au sein des établissements, les pharmaciens essayent d’apposer cette nouvelle obligation sur leur organisation actuelle. Or, intégrer une nouveauté dans une organisation qui n’a pas été pensée pour elle s’avère forcément compliquée. Peut-être faudrait-il se dire que la sérialisation est l’opportunité de travailler différemment. Dans un premier temps, il va forcément y avoir des efforts à fournir. Mais ensuite, le bénéfice va être trouvé. Par exemple, en obligeant à scanner les boîtes, la sérialisation facilite l’enregistrement des informations clefs dont les numéros de lot et les dates de péremption, permettant de mieux gérer les stocks voire d’optimiser le regroupement et la fréquence des commandes.

Et techniquement, existe-t-il des solutions organisationnelles facilitatrices ?

Comme la contrainte de la sérialisation est liée au scannage des boites une à une, il est nécessaire de trouver des solutions pour faciliter cette étape. Il existe deux grandes modalités qui requièrent un investissement mais qui peuvent servir pour l’optimisation des commandes et la gestion des stocks.

Tout d’abord, utiliser les caméras qui permettent de scanner en même temps de grandes quantités de boîtes. Plusieurs dizaines de codes Datamatrix peuvent être lus en une seule fois, tout en permettant l’affichage individuel des boîtes sur l’écran et d’identifier rapidement celles qui présentent un problème.

Il existe également le processus de consolidation. De nombreuses PUI l’utilisent déjà en accord avec les fournisseurs, dépositaires et exploitants. Dans ce cadre, c’est le dépositaire ou l’exploitant s’il gère lui-même sa distribution, qui scannent les boites de médicaments et enregistrent les données dans un fichier spécifique. Ils reconditionnent ensuite les boites dans un carton, et lorsque la PUI le reçoit, elle doit notamment effectuer un rapprochement entre le fichier informatique qui détient tous les identifiants uniques des boites et les boites contenues dans l’unité logistique (carton, palette) pour les désactiver en masse dans un deuxième temps. Les laboratoires peuvent avoir un intérêt en fournissant ce service qui aura un impact sur l’organisation de la PUI et par ricochet sur la leur. Il est en effet plus efficient de travailler avec un hôpital qui passe une commande importante une fois par semaine, que de plus petites commandes plusieurs fois par semaine. Les industriels, qui ont démarré les premiers sont aujourd’hui au rendez-vous et sont de bons élèves pour la sérialisation. Au départ, il y avait certes des défauts d’encodage ou des erreurs dans le chargement des données, mais aujourd’hui, le fonctionnement est plutôt optimal. Côté hôpital, à ce jour, sur les 2500 PUI en France, environ 1800 sont connectées à France MVO. Mais cela ne veut pas dire pour autant que toutes les boites sont vérifiées et désactivées. Nous ne pouvons pas être certains que les PUI scannent toutes les boites, seules les autorités nationales compétentes (DGS et ANSM) disposent de ces moyens d’investigation. Néanmoins, lorsque nous recevons des alertes, nous constatons que les PUI nous contactent pour connaître la démarche à appliquer et pour beaucoup, la sérialisation est devenue un process pris très au sérieux.

CHIFFRES

Le taux d’alertes est de 0,2% environ sur 6 millions de boites scannées par semaine.
Le potentiel est de 30 millions de boites par semaines, dans le champ d’application de la sérialisation ville et hôpital.
Source : France MVO.

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Établi en août 2022