Pratiques innovantes
20/10/2022

Dispensation à l’unité : une mesure à adapter à la réalité française

Un décret du 30 janvier 2022 relatif à la délivrance à l’unité de certains médicaments en pharmacie d’officine, précise l’organisation de cette délivrance. L’Académie nationale de pharmacie, dénonce les modalités du décret, tandis que les pharmaciens de terrain se questionnent sur ce dispositif.

La loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire a introduit, pour éviter le gaspillage des médicaments, la possibilité d’une Dispensation à l’unité (DAU) en officine, lorsque leur forme pharmaceutique le permet. Un décret du 30 janvier 2022 en définit les nouvelles modalités. L’Académie nationale de pharmacie regrette toutefois que les pouvoirs publics n’aient pas tenu compte de ses recommandations, rendues publiques dans son rapport du 13 avril 2021, portant sur la DAU.
 

Un procédé complexe

Pour l’Académie de pharmacie, le processus décrit dans le décret complexifie l’organisation du travail à l’officine, sans pour autant sécuriser l’acte pharmaceutique, ni permettre de lutter contre le gaspillage. Selon eux, multiplier les étapes pour satisfaire aux nouvelles exigences de préparation contrevient aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments et peut augmenter les risques d’erreurs pour les patients. De même, l’ouverture du conditionnement, prévu dans le cadre du décret, va à l’encontre de l’obligation de sérialisation et ne garantit pas la stabilité de la forme galénique après le déconditionnement.

Ils regrettent également que rien ne soit précisé sur l’étendue et la complexité accrues des responsabilités tant du pharmacien d’officine que du fabricant en cas de DAU, et qu’aucune évaluation de la DAU à l’officine ne soit programmée pour en tirer un retour d’expérience indispensable au succès de son potentiel déploiement. L’Académie maintient que, si la DAU doit être envisagée pour certains médicaments, elle ne peut venir qu’en complément d’autres mesures et après avoir pris en compte ses limites, dans le cadre de la participation des pharmaciens au combat pour le bon usage et contre le gaspillage des médicaments, à la préservation de l’environnement, à la lutte contre l’antibiorésistance.
 

Rechercher les preuves des constats

Cet avis de l’Académie nationale de pharmacie est partagé par les professionnels de terrain. Pour le Dr Yorick Berger, pharmacien d’officine dans le 13e arrondissement de Paris, « si l’objectif initial est intéressant, la DAU est une solution qui doit être envisagée d’un point de vue macro, comme l’une des solutions contribuant à diminuer l’antibiorésistance. Elle doit faire partie d’une décision réfléchie et globale. L’ensemble des professionnels de santé doivent être alignés sur un même objectif afin que le patient soit bien pris en charge ».

Le Dr Patrick Tilleul, professeur associé de pharmacie clinique, partage ce point de vue. « Le questionnement initial est pertinent à savoir réduire la quantité de médicaments au domicile des usagers. » Derrière cette réduction se profile un double objectif : tout d’abord celui de limiter la réutilisation de médicaments d’une personne à une autre au sein d’une même famille, avec les risques associés à cette pratique, notamment en termes d’antibiorésistance. Puis, celui de réduire la quantité de médicaments non consommés avec son impact économique. « Si les objectifs sont louables en première approche, il n’existe pas pour autant de recherche pharmaco-épidémiologique documentant la réalité de cette situation, pointe du doigt Patrick Tilleul. On part d’un constat très intuitif. » Il y a donc une vraie place pour ce type de recherche mêlant pharmacie clinique et sociologie pour valider ces hypothèses.
 

Élargir les mesures

Par ailleurs, « pour répondre à cette intention, les moyens mis en œuvre restent, pour le moment non définis, poursuit le Dr Tilleul. D’autres voies doivent être empruntées en parallèle, car il n’est pas possible de faire reposer les objectifs finaux uniquement sur la DAU. Il faut poursuivre les incitations à rapporter les médicaments non utilisés aux pharmaciens d’officines, diminuer la prescription de médicaments inutiles et éventuellement faire correspondre les boitages des médicaments avec les durées de prescription les plus standards ».

Ces autres approches semblent indispensables, en raison du coût que représente le déploiement de la DAU pour les pharmaciens d’officine, qui ne disposent pas d’aide financière pour sa mise en œuvre. « Or, la DAU concerne les médicaments les plus prescrits, à savoir les génériques, qui sont les moins coûteux, rappelle le Dr Tilleul. Cela ne va donc pas permettre d’économies majeures ». Dans les pays anglo-saxons où le dispositif est appliqué, les pharmaciens disposent d’une organisation dédiée avec une tarification prenant en compte la préparation de la DAU. « Le temps passé à découper les médicaments pour les mettre dans des boîtes, c’est autant de temps non passé au comptoir à expliquer le traitement au patient, souligne le Dr Berger. Or, en France, les politiques n’en tiennent pas compte dans leur mesure. Il nous est difficile de proposer une prise en charge correcte d’un point de vue pratique, si ces éléments n’ont pas été pensés à l’origine. Il faudrait du personnel formé, dédié à la manipulation des médicaments ainsi qu’un espace dédié au sein de l’officine. » L’intégralité du système doit donc être revue et ce, dès la production, avec un conditionnement primaire à mettre en place à la fois pour gagner du temps et pour réduire la production de déchet. « Les officines devraient également s’équiper d’étiqueteuses avec un logiciel permettant de scanner le produit pour ainsi réduire la saisie et minimiser le risque d’erreur », indique-t-il.
 

Mesurer l’impact de la DAU

Dernier point : des études devraient en outre être menées afin de connaître réellement l’impact de la DAU notamment mesurer le risque d’erreurs médicamenteuses en lien avec cette opération, l’impact du déconditionnement sur les médicaments et leur détérioration. « Avec la DAU, nous avons encore moins de garanties sur le respect des dates de péremption et sur l’hygiène associée à l’usage de ces médicaments par les patients », ajoute le Dr Tilleul, qui estime qu’il ne faut pas pour autant rejeter un concept mais plutôt envisager une phase pilote, sur un nombre limité de références comme le propose l’Académie nationale de pharmacie.

Néanmoins, il ne faut pas oublier que les conditionnements actuels des médicaments sont liés aux Autorisations de mise sur le marché (AMM) et que les conditionnements ont été mis en place à la suite de l’AMM liée à la prescription. « De fait, s’il reste trop de comprimés par rapport à la prescription, c’est que la prescription n’est pas en cohérence avec l’AMM, soutient Yorick Berger. Il faudrait donc peut-être davantage se concentrer sur cette problématique, puisque 80 % des prescriptions devraient correspondre au boitage. »

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Établi en octobre 2022