Pratiques innovantes
15/04/2021

Essais cliniques innovants et données de vie réelle : la révolution de l’Intelligence Artificielle

Avec le développement de l’intelligence artificielle, la méthode d’évaluation des médicaments via les essais cliniques est en passe d’évoluer. Les données dites de vie réelle, recueillies avec les nouvelles technologies, viennent compléter les données issues des essais cliniques randomisés. Quels défis voire obstacles restent-t-ils à lever en termes de collecte, d’évaluation, d’acceptabilité et de gouvernance ? Le point.

« Grâce aux données cliniques, les essais randomisés et contrôlés visent à évaluer l’efficacité d’un traitement », résume le Docteur David Pérol, Directeur de la recherche clinique et de l'innovation au Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard (Lyon). Les données dites de vie réelle sont, elles, le fruit du suivi en routine des patients et portent sur la prescription, la délivrance et la consommation des médicaments. Elles sont issues d’une grande variété de sources : dossiers informatisés des patients, Système national des données de santé (SNDS), objets connectés etc. « Ces informations permettent de décrire et comprendre l’usage des traitements et les parcours de soins », décrypte David Pérol. Relatives à la vie quotidienne des patients, elles sont donc également une ressource intéressante pour évaluer leur qualité de vie sous traitement.

Une nécessaire complémentarité

Pour autant, hors de question d’opposer les données de vie réelle aux données cliniques ou d’imaginer que les premières vont remplacer les secondes, insiste le Dr Pérol : « elles sont au contraire complémentaires ! Les données biologiques et cliniques ont une grande validité interne puisqu’elles permettent d’attribuer et d’établir le lien de causalité entre l’effet d’un traitement et l’amélioration de la santé des patients. En revanche, elles peuvent pécher par manque de représentativité. Les données de vie réelle, qui permettent d’évaluer l’efficacité d’un traitement sur une population tout-venant ont, elles, une grande validité externe, c’est-à-dire qu’elles permettent de mieux tenir compte de la diversité des profils de patients traités en routine. »

L’intelligence artificielle pour effacer les biais

Récoltées via les outils numériques, les données de vie réelle constituent une source d’informations importante. A condition toutefois d’en limiter les biais inhérents à leur variété et à leur foisonnement.  « C’est là qu’interviennent des méthodes d’analyses statistiques complexes, ainsi que l’Intelligence artificielle, explique David Pérol. Grâce à ces outils, on peut travailler, tester des jeux de données pour mettre au point des prédictions et affiner petit à petit la compréhension du lien causal entre traitement et efficacité. L’idée est de pondérer et de gommer les biais des données de vie réelle en recréant les conditions des essais cliniques. »

Le défi de l’harmonisation des données

Reste la question de l’harmonisation et la gestion de ces données. Comme le soulignait le rapport sur les données de vie réelle en 2017, « si de multiples initiatives existent aujourd’hui pour créer des bases de données observationnelles, elles restent fragmentées, de qualité hétérogène, souvent difficiles à relier entre elles, alors que le chaînage de données provenant de multiples sources est à l’évidence un enjeu clé ». Certains précurseurs, dont le centre Léon Bérard, se sont d’ores et déjà emparés de ce défi (voir témoignage). Il est toutefois nécessaire de poser un cadre réglementaire clair d’évaluation comme le souligne l’Institut national du cancer (Inca) : « les méthodologies d’analyse de ces données multi-sources doivent être évaluées de la même façon qu’un nouveau médicament, c’est-à-dire de façon prospective, bien contrôlée et selon un plan spécifié à l’avance. »

Une réponse aux enjeux du système de santé

Néanmoins, les perspectives offertes pourraient bénéficier à l’ensemble du système de santé et de ses acteurs. Dans le contexte médico-économique contraint d’aujourd’hui, la combinaison données cliniques – données de vie réelle pourrait être source d’économies tout en permettant une « régulation avec le suivi du bon usage, de l’efficacité et de la tolérance des produits en vie réelle, de plus en plus nécessaire avec l’arrivée précoce des produits sur le marché », poursuit le rapport sur les données de vie réelle.

En outre, face au vieillissement de la population et à l’augmentation des maladies chroniques, elle devrait permettre d’améliorer la qualité des soins et la personnalisation des prises en charge en ciblant de manière toujours plus fine le bon traitement pour le bon patient.

Enfin, du côté de la recherche, les délais et les coûts devraient s’en trouver diminués, contrairement aux connaissances scientifiques. 

Le Centre Léon Bérard à la pointe

« Les données de vie réelle offrent une vision effective et exhaustive des traitements »

Dr David Pérol, Directeur de la recherche clinique et de l'innovation au Centre Léon Bérard (Lyon). 

« En matière de données de vie réelle, nous travaillons au sein des centres de lutte contre le cancer sur une base de données, ESMÉ (Épidémio-Stratégie Médico-Économique), et nous disposons également d’un outil de fouille et de sélection des données, CONSOR (Continuum Soins Recherche). Sur la base d’une requête précise, cet outil identifie toutes les données qui s’y rapportent et les organise grâce à un algorithme, en une information structurée, accessible et évaluable à des fins de recherche.

Quant à ESMÉ, il s’agit d’un programme coordonné par Unicancer. Lancée en 2014, cette initiative nationale repose sur la volonté de mettre en commun les données réelles académiques récoltées par les centres de lutte contre le cancer et d’autres établissements hospitaliers (CHU et CHG) pour les cancers du sein, les cancers métastatiques du poumon et les cancers avancés de l’ovaire. Avec près de 60 000 patients, ces bases sont uniques en Europe. On y trouve les données des dossiers patients, les données du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) et les prescriptions hospitalières de pharmacie, qui nous fournissent des éléments sur l’efficacité des traitements et sur l’épidémiologie de ces cancers. Dans chaque centre, une personne dédiée vérifie les données sélectionnées : il y a donc un véritable contrôle qualité. Tout ceci nous permet de publier des travaux académiques en épidémiologie clinique. Pour aller encore plus loin, nous travaillons sur un projet européen avec l’Italie, l’Allemagne et les Pays-Bas, qui devrait nous permettre de disposer de données médico-économiques et de qualité de vie. Pour finir, ces bases partagées offrent une vision effective et exhaustive des traitements au cours d’une période donnée. Elles présentent donc de multiples intérêts tant pour les chercheurs que pour les industriels du médicament en matière de tolérance et d’efficacité des traitements (notamment selon les profils de patients et/ou en cas de pathologies associées), d’évaluation des parcours de soins, d’épidémiologie ou encore de recherche. Autant d’informations qui permettent, à terme, de documenter les demandes de remboursement des traitements. »

Sources :
« Les essais cliniques en 10 questions », LEEM, décembre 2018
« Données en vie réelle : une nouvelle voie pour un accès rapide aux traitements innovants ? », INCa, décembre 2019
« Les données de vie réelle, un enjeu majeur pour la qualité des soins et la régulation du système de santé – l’exemple du médicament », Bernard Bégaud, Dominique Polton, Franck von Lennep, Rapport, 2017

Autres articles sur « Pratiques innovantes »

Information médicale

Une question sur un produit ? Un article que vous souhaitez consulter ? Besoin d'aide pour vos recherches bibliographiques ? Nous pouvons vous aider.

M-FR-00003424-2.0
Établi en août 2022