Pratiques innovantes
18/03/2021
La data, une aide précieuse pour lutter contre la iatrogénie
L’Hôpital Saint-Joseph (Paris) a codéveloppé avec la start-up Lumio Medical, un outil d’aide à la priorisation des prescriptions pour leur analyse pharmaceutique. Fonctionnant en routine depuis février dernier, il remplit pleinement son rôle de priorisation de la validation des prescriptions en détectant un nombre accru d’erreurs médicamenteuses potentielles pour un même nombre de prescriptions analysées. Même si le pharmacien reste prééminent derrière la machine.
« L’analyse des data en elle-même ne fait pas tout même si elle consiste à récolter des données et à pointer les effets indésirables ainsi que les moyens de les éviter, explique Asok Rajkumar, interne en pharmacie qui a participé à la mise au point de l’outil de priorisation de l’Hôpital Saint-Joseph. En revanche, cette analyse informatique ne prévient pas seule la iatrogénie médicamenteuse. Pour cela, il est indispensable qu’elle soit couplée à une expertise métier, en l’occurrence, à l’analyse pharmaceutique qui consiste à vérifier la bonne adéquation entre la prescription et l’état du patient. » L’analyse pharmaceutique demeure en effet le meilleur moyen d’empêcher la survenue d’événements iatrogéniques médicamenteux évitables en s’assurant de la conformité de ladite prescription avec, d’une part, la ou les pathologies du patient et, d’autre part, ses caractéristiques physiologiques.
Le rôle clef du pharmacien
Or, ce modus operandi se heurte le plus souvent, en établissement, à un manque d’effectifs et de temps pharmacien. Beaucoup de temps reste aujourd’hui passé à analyser des prescriptions conformes alors que l’expertise pharmaceutique pourrait être mieux dirigée vers les prescriptions les plus à risque d’erreur. Pour y remédier, l’intelligence artificielle peut s’avérer d’un précieux secours, ce qui implique de rentrer un maximum de paramètres dans l’outil. Concrètement, cette intelligence artificielle permet de reconnaître une situation en intégrant tous les paramètres cliniques, biologiques et pharmacologiques ayant donné lieu auparavant à une proposition d’intervention pharmaceutique. « On collecte toutes les données nécessaires, en particulier celles qui ont été incrémentées en amont par les médecins dans le logiciel de prescription de l’établissement, qu’il s’agisse du médicament, des doses, de la posologie, de ses interactions connues, du terrain et des variables du patient : son âge, son poids, ses antécédents familiaux et personnels, sa biologie etc. », précise Asok Rajkumar. Avec, en toile de fond, l’idée fondatrice qu’une même pathologie ne donne pas forcément lieu au même traitement.
Concrètement, tous les patients de l’Hôpital Saint-Joseph qui nécessitent une prescription passent au crible informatique, lequel cible, entre autres, ceux qui sont les plus à risque, autrement dit, ceux qui sont les plus à même d’être exposés à une erreur médicamenteuse. En revanche, et c’est essentiel, ce n’est pas la machine qui identifie l’erreur en question, susceptible de se produire. C’est précisément là, le rôle du pharmacien. Sachant que l’ordinateur signale également, sous forme d’alertes, les associations contre-indiquées recensées dans la littérature médicale. Pour cela, il se réfère notamment à Thériaque®, la banque de données à l’intention des professionnels de santé agrégeant tous les médicaments disponibles en France.
« Une valeur ajoutée pour notre métier »
En somme, l’outil avertit si une prescription est à risque, si un médicament l’est intrinsèquement et/ou s’il est susceptible de l’être spécifiquement pour le patient en question. Avec, à chaque fois, une évaluation quantitative de la probabilité sous la forme d’un score allant de 0 à 10. Il est alors possible d’écarter les prescriptions les moins à risque d’erreur (scores faibles inférieurs à 3, soit environ 50% des prescriptions) pour concentrer l’expertise pharmaceutique sur les prescriptions dites les plus à risque (scores supérieurs à 3). En cas d’erreur confirmée par l’analyse pharmaceutique, la prescription est rectifiée après une concertation entre le pharmacien et le médecin.
Pour l’instant, l’outil n’est accessible qu’aux pharmaciens, en particulier cliniciens, lesquels l’activent à chaque fois qu’ils doivent valider une prescription. D’un abord aisé, il nécessite cependant une réelle formation pour maîtriser son fonctionnement et le calcul du score associé à chaque prescription. Des atouts qui le rendent incontournable ? « Certes, nous avons pendant tellement longtemps fait sans, qu’en théorie, on pourrait continuer. Simplement, il serait extrêmement dommage et incohérent de s’en passer au regard du gain de temps et d’efficacité qu’il apporte, répond Asok Rajkumar, précisant ne pas encore disposer de données chiffrées publiées pour corroborer ses dires, mais des études sont en cours pour les objectiver. Il nous fait remonter beaucoup plus de cas que ceux que nous décelions avant sa mise en place. Cela nous donne la possibilité de prévenir davantage des dysfonctionnements médicamenteux qui, sinon, nous auraient sans doute échappés à cause non pas d’un déficit de compétence de notre part mais, parfois, de disponibilité. L’intérêt de l’outil qui, pour l’instant, n’a été déployé qu’à l’Hôpital Saint-Joseph, est réel d’autant qu’il invite à se focaliser sur les cas les plus complexes qui suscitent des interrogations. C’est une valeur ajoutée pour notre métier. » L’élaboration de cet outil vient de donner lieu à une publication internationale.
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