Pratiques innovantes
19/11/2021

« La crise épidémique a été un accélérateur scientifique »

Professeur de pharmacie clinique et chef du pôle pharmacie du CHU de Grenoble, Pierrick Bedouch décrypte dans quelle mesure la pandémie de Covid-19 a revisité de manière positive les process et les relations au sein du monde médical et scientifique. Le tout dans un souci d’efficience accru.

La crise sanitaire a, en quelque sorte, développé la réactivité scientifique. S’agit-il d’un épiphénomène ou bien cette tendance peut-elle devenir pérenne ?

C’est vrai que la crise épidémique provoquée par la Covid-19 a été un accélérateur scientifique à plusieurs niveaux. Tout d’abord et forcément dans le domaine de la recherche puisqu’il s’agit d’une nouvelle maladie. Il n’y a jamais eu autant de publications sur une maladie dans un temps aussi court, qu’elles portent sur le diagnostic, la thérapeutique, la vaccination etc. Cela nécessite, et c’est le deuxième point, un raccourcissement des canaux de communication entre les professionnels de santé et, plus largement, entre les différents acteurs (chercheurs, cliniciens, pharmaciens, médecins etc.). Est-ce que tout cela peut être maintenu tel quel ? Sans doute pas pour ce qui est de la production de communications, laquelle ne va pas conserver une telle fréquence. En revanche, pour ce qui est des canaux et de l’agilité collective, ce sont probablement des modèles qui sont appelés à être pérennisés.

Pouvez-vous en donner des exemples ?

A titre personnel, j’ai participé à plusieurs groupes de travail mis en place par le ministère de la Santé et la Direction générale de la Santé (DGS). Ils ont donné lieu à la création de cellules collaboratives entre les sociétés savantes, lesquelles n’existaient pas auparavant. Ce sont des configurations qu’il conviendra de maintenir dans la mesure où cela a permis beaucoup plus d’échanges entre les sociétés savantes mais aussi avec les pharmaciens.

Vous avez notamment participé au groupe Boucle-Réa. Comment la réactivité scientifique que vous évoquez s’y est-elle manifestée ? 

Par la prise de décisions partagées avec les agences et les tutelles mais également par des retours d’expériences très rapides, pas uniquement de la part des représentants des groupes mais également de celle des praticiens de terrain aux profils très différents. Cette réactivité s’est surtout traduite par la mise en relation des diverses sociétés savantes et par la production de recommandations communes entre sociétés savantes et experts cliniciens. En ce qui concerne la pharmacie hospitalière, nous avons pu contribuer à la formalisation des recommandations et de portfolios avec les sociétés d’anesthésie et de pneumologie, sans compter des collaborations scientifiques axées sur la Covid-19 et sa prise en charge thérapeutique. De même, des chercheurs en sciences sociales et humaines ont été inclus pour ce qui a trait à l’impact managérial et organisationnel de l’épidémie sur le système de soins (télésoin…) et à ses conséquences sociales sur la population. Enfin, cette réactivité a débouché sur des publications et des actions communes de pédagogie et de sensibilisation à l’adresse du grand public. Elles ont été diffusées en utilisant les nouvelles technologies, qu’il s’agisse de webinaires, de vidéos etc. Globalement, il y a eu moins de formalisme dans les rapports entre les uns et les autres. Cela est dû, d’une part, à l’urgence de la situation, laquelle faisait qu’il n’y avait pas de place pour un formalisme déplacé et improductif, et, d’autre part, au mode de communication en distanciel qui favorise à la fois la transversalité et un mode de relation moins protocolaire avec, à la clef, davantage de mises en commun et de réactivité entre les acteurs.

Tout cela peut-il, selon vous, perdurer ?

Comme dans toute chose, il y aura un rééquilibrage. Pour autant, cette facilitation et cette mentalité un peu à l’anglo-saxonne sont, à mon sens, un acquis qui ne s’arrêtera pas, notamment parce que cela répond aussi à une évolution sociétale et à une demande des plus jeunes praticiens. Ces derniers sont naturellement enclins à instaurer des rapports beaucoup plus simples et transversaux. En outre, je ne vois pas de domaine pour lequel cette évolution ne pourrait pas s’appliquer.

Dans quelle mesure les pharmaciens hospitaliers et les PUI ont-ils été concernés par cet élan collectif ?

Cet élan collectif a mis en lumière de façon très importante le rôle essentiel des pharmaciens hospitaliers au sein des établissements dans les territoires, non seulement pour l’ensemble de la population mais aussi pour les cliniciens. Ce rôle de spécialistes du médicament qui est le nôtre est appelé, à l’avenir, à être mieux reconnu. Par ailleurs, cette crise va avoir pour effet de développer davantage d’essais cliniques auxquels les pharmaciens hospitaliers participeront et dans le cadre desquels ils joueront un rôle majeur. Elle va également conforter le rôle des pharmacies hospitalières en matière de bon usage. La sollicitation de l’expertise pharmaceutique clinique pour ce qui est de la thérapeutique va donc, de ce fait, être renforcée. Ce sont des items qui seront de plus en plus prégnants à l’avenir.

Les outils digitaux se sont avérés extrêmement précieux pour permettre la tenue de réunions d’urgence…

Effectivement. L’information scientifique est beaucoup passée par des réseaux, en particulier sociaux, qui permettent une communication rapide. On peut affirmer qu’à l’avenir, ces réseaux auront un rôle important à jouer pour être des relais d’informations entre les acteurs. A noter que les réseaux sociaux généralistes, en particulier Twitter, ont été l’un des premiers moyens de discussion et de diffusion d’informations auprès d’un large public. Puis se sont greffés les réseaux de communication propres à certains acteurs comme les groupes WhatsApp. Enfin, les outils de visioconférence ont favorisé la tenue de réunions collectives, parfois sur des temps très courts, auxquelles ont participé des gens très éloignés les uns des autres. Cela a été l’occasion de faire intervenir très facilement des experts qu’il aurait été très difficile de faire se déplacer. En outre, le plus grand nombre a eu la possibilité d’assister à ces échanges en direct ou en replay. Je dirais que l’on a découvert les fonctionnalités de ces outils de communication. Ils vont selon moi être maintenus avec le développement de nouvelles fonctionnalités, en particulier celles qui ont trait au tchat et à la possibilité de poser des questions en direct et à distance. Je suis persuadé que l’on va voir de plus en plus d’événements hybrides s’appuyer sur cette plus grande puissance de communication et de diffusion qu’offre le numérique.

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Établi en août 2022