Scientifique
13/02/2024

Les ARN messagers, des médicaments pas comme les autres

L’odyssée des ARN messagers (ARNm) ne fait que commencer. Popularisés par les vaccins anti-Covid-19, ces acides nucléiques sont employés dans différents types de thérapies, préventives ou curatives, et l’arsenal thérapeutique les utilisant devrait encore s’étendre. Selon leur indication et leur mode de production, leur statut diffère, induisant des circuits de contrôle et de mise sur le marché spécifiques.

Principe de l’utilisation de l’ARNm

Le principe de ce traitement consiste à administrer un ARNm codant une protéine d’intérêt. L’ARNm est vectorisé afin de permettre son entrée dans les cellules. Une fois traduite, la protéine pourra, selon le cas, être reconnue par le système immunitaire et entraîner une réponse immunitaire selon le principe de la vaccination ou suppléer un gène défectueux. Cette stratégie thérapeutique permet ainsi de cibler n’importe quelle protéine d’intérêt, donc de lutter contre un grand nombre de maladies, qu’elles soient infectieuses, cancéreuses ou autres.

Applications

Les ARNm peuvent présenter un intérêt dans la lutte contre certains agents pathogènes dès lors que l’antigène déclenchant la production d’anticorps neutralisants est identifié. Ce fut par exemple le cas dans le cadre de la vaccination contre la Covid-19 et des travaux sont en cours contre le VIH1.
Ils peuvent également être utilisés dans le cas de cancers pour stimuler l’immunité contre la tumeur. Des ARNm codant des antigènes tumoraux sont alors injectés, afin d’activer notamment les lymphocytes T cytotoxiques, qui vont ensuite détruire les cellules tumorales. Plusieurs essais cliniques ont été menés dès les années 2000, notamment dans le cancer de la prostate, en ciblant l’antigène PAP2 (phosphatase acide prostatique) ainsi que dans le mélanome3. D’autres essais cliniques utilisant les vaccins à ARNm à visée curative sont en cours de développement en oncologie.
Les ARNm peuvent également être indiqués dans certaines maladies génétiques héréditaires afin de suppléer un gène déficient, notamment en restaurant la production d’une protéine, comme dans le cas des maladies du stockage du glycogène4.

Un statut selon le type de thérapie

Ces développements utilisant l’ARNm nécessitent, comme pour tout produit de santé, une réglementation adaptée.
Selon la réglementation en vigueur, un médicament à base d’ARNm est par définition un médicament biologique, c’est-à-dire « un médicament dont la substance active est une substance biologique » (définition de la directive 2001/83/CE), par opposition au médicament issu de la synthèse chimique.
Parmi ces médicaments biologiques, il existe les médicaments immunologiques, tels que les vaccins et les médicaments de thérapie innovante dans lesquels figurent les produits de thérapie génique et les médicaments de thérapie cellulaire somatique (cf. tableau ci-dessous).

Tableau d’après “RNA-based drugs and regulation: Toward a necessary evolution of the definitions issued from the European union legislation” (M. Guerriaud, E. Kohli, Frontiers in medicine, october 2022).

L’impact du statut

La réglementation européenne opère une distinction entre les vaccins contre les maladies infectieuses et les médicaments de thérapie génique, quand bien même les deux intègrent un ARNm.
Les uns sont véritablement considérés comme des vaccins, selon la définition de la directive 2001/83/CE : « agents utilisés pour produire une immunité active, tels que le vaccin contre le choléra, le BCG, la poliomyélite ou la variole ». C’est le cas des vaccins à ARNm permettant de lutter, par exemple, contre la Covid-19.
Les autres sont, selon la même directive, des médicaments de thérapie génique, et à ce titre, ils sont administrés « pour réguler, réparer, remplacer, ajouter ou supprimer une séquence génétique avec une action thérapeutique, prophylactique ou diagnostique ». Parmi eux se trouvent ceux que l’on appelle par abus de langage les « vaccins contre le cancer ».

Certains chercheurs5 arguent que les vaccins contre les maladies infectieuses sont prophylactiques, à la différence de ceux contre le cancer, qui sont curatifs. Mais cela pourrait évoluer, puisque certains vaccins en développement ciblant par exemple le VIH6 sont à visée curative.

Conséquences

Les médicaments de thérapie génique nécessitent des essais spécifiques lors de leur développement visant à évaluer le risque de transmission germinale, de mutagénèse insertionnelle ou de tumorigénicité/tératogénicité.
De plus, l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) ne suit pas le même circuit : dans le cadre de la thérapie génique, la procédure d’AMM bénéficie des conseils et de l’évaluation du Comité des thérapies innovantes (CAT) de l’Agence Européenne des Médicaments (EMA).

La thérapie génique s’adresse à une population malade, selon un faible échantillonnage, à la différence des vaccins, qui ciblent une population nombreuse et que l’on souhaite protéger (curatif vs prophylactique). Un corollaire : l’évaluation des médicaments de thérapie génique est plus complexe et le prix du traitement est conditionné à la rareté de sa distribution. De même, ces médicaments sont des traitements coûteux car ils sont généralement personnalisés.

Différence entre l’Union européenne et les États-Unis

Si l’Union européenne a harmonisé le statut de la thérapie génique au sein de ses pays membres – par principe, en Europe, les ARNm entrent dans la catégorie des médicaments de thérapie génique sauf s’ils sont des vaccins contre les maladies infectieuses – il n’en va pas de même à l’extérieur des frontières de l’UE. Ainsi, aux États-Unis, selon la Food and Drug Administration (FDA), seuls les médicaments à base d’ADN sont considérés comme des médicaments de thérapie génique. La FDA s’appuie sur le mécanisme d’action, à savoir la nécessité d’une interaction avec l’ADN au sein de la cellule, alors que l’Agence européenne du médicament s’attache à la composition du médicament (l’acide nucléique).

Cette différence de traitement nécessite une harmonisation au niveau international, que l’International Council for Harmonisation of Technical Requirements for Pharmaceuticals for Human Use (ICH) pourrait amorcer en proposant la définition suivante (projet de ligne directrice S127) : « les produits de thérapie génique comprennent les produits dont l’effet est lié à l’expression (transcription et traduction) de matériel génétique transféré. On peut citer les acides nucléiques purifiés (ARN, plasmide), les micro-organismes (virus) génétiquement modifiés pour exprimer des transgènes et les cellules humaines génétiquement modifiées ex vivo ». Les produits destinés à modifier le génome de la cellule hôte in vivo sans transcription ou traduction spécifique sont également couverts par cette définition.

À noter - Outre l’ARNm évoqué dans cet article, d’autres ARN peuvent être utilisés en tant que médicament : les oligonucléotides antisens, les petits ARN interférents, les micro-ARN, les aptamères d’ARN, etc.

Avec la contribution de Mathieu Guerriaud, Maître de conférences HDR en Droit pharmaceutique et de la santé de l’Université de Bourgogne-Franche-Comté.

Références :
1 - Zhang et al., A multiclade env-gag VLP mRNA vaccine elicits tier-2 HIV-1-neutralizing antibodies and reduces the riskoh heterologus SHIV infection in macaques (Nat.Med., 2021).>
2 - Huber et al. Interdisciplinary Critique of Sipuleucel-T as Immunotherapy in Castration-Resistant Prostate Cancer. J Natl Cancer Inst. 2012 Feb 22; 104(4): 273–279).
3 - Bafaloukos et al. Evolution and Progress of mRNA Vaccines in the Treatment of Melanoma: Future Prospects. Vaccines (Basel). 2023 Mar; 11(3): 636.
4 - https://www.ema.europa.eu/en/human-regulatory/marketing-authorisation/advanced-therapies/advanced-therapy-classification/scientific-recommendations-classification-advanced-therapy-medicinal-products.
5 – Hinz et al. The European Regulatory Environment of RNA-Based Vaccines. Methods in molecular biology.  2017;1499:203-222.
6 - Zhang et al., A multiclade env-gag VLP mRNA vaccine elicits tier-2 HIV-1-neutralizing antibodies and reduces the riskoh heterologus SHIV infection in macaques (Nat.Med., 2021).
7 - https://www.ich.org/page/safety-guidelines#12.

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Établi en février 2024