Scientifique
16/02/2023

Thérapie cellulaire : de nouvelles générations de thérapeutiques apparaissent

Les progrès technologiques, en matière d’édition du génome, et la meilleure compréhension des mécanismes immunologiques favorisent l’essor de la thérapie cellulaire. Des améliorations organisationnelles et de fabrication sont encore nécessaires pour déployer cette approche.

On parle de thérapie cellulaire dès lors que l’on injecte à des patients, à des fins thérapeutiques des cellules, transformées ou non. Or, « la tendance actuelle est de résumer la thérapie cellulaire aux cellules génétiquement modifiées comme les cellules Chimeric Antigen Receptor T (CAR-T cells), alors que cela concerne aussi des approches bien plus anciennes, comme la greffe de cellules souches hématopoïétiques », rappelle Jeanne Galaine, pharmacienne et enseignante-chercheuse au sein de l’Établissement français du sang (EFS) de Bourgogne Franche-Comté situé à Besançon. Aussi appelée greffe de moelle osseuse, cette technique est maîtrisée depuis le début des années 1970 grâce à la compréhension des mécanismes d’histocompatibilité.
 

Aujourd’hui

Depuis 2007 et le règlement européen 1394/2007, les médicaments de thérapie innovante (MTI) sont distingués des autres produits de thérapie cellulaire. Les premiers sont définis par le caractère substantiel des transformations cellulaires ou les fonctions différentes des cellules entre donneurs et receveurs. La production des MTI, comme pour tous les médicaments, doit être conforme au guide des Bonnes pratiques pharmaceutiques. Celle des autres produits de thérapie cellulaire dépend, quant à elle, du référentiel des Bonnes pratiques tissus et cellules.

Sur le marché européen, six MTI de thérapie cellulaire sont autorisés : cinq CAR-T cells, c’est-à-dire des lymphocytes T génétiquement modifiés pour reconnaître et tuer spécifiquement les cellules cancéreuses, et un produit de cellules souches mésenchymateuses, indiquées en médecine régénérative pour le traitement des brûlures. La majorité des CAR-T cells cible l’antigène CD19 pour traiter des hémopathies malignes.

Aujourd’hui, les MTI autorisés sont administrés selon un schéma autologue, c’est-à-dire que ce sont les cellules du patient lui-même qui sont prélevées pour être génétiquement modifiées. Cela assure une grande sécurité sur le plan de l’histocompatibilité mais impose une logistique complexe. Il faut cinq semaines entre le prélèvement et la mise à disposition du traitement au patient, un problème lorsque celui-ci est urgent. « Les plateformes MTI de l’EFS ne produisent actuellement pas de CAR-T cells commercialisées mais elles sont en capacité d’en faire pour des essais cliniques », informe Jeanne Galaine. « À Besançon, nous stockons en ce moment les CAR-T cells industriels autorisées, produites dans un des sites européens autorisés, avant qu’il ne soit pris en charge par la pharmacie à usage intérieur de l’hôpital où est hospitalisé le patient. Nous les recevons congelées après transformations. Cela devient une routine, avec au moins un patient par mois. »

L’EFS est un établissement pharmaceutique avec quatre sites de production (Nantes, Créteil, Besançon et Grenoble). Ceux-ci sont autorisés à produire des MTI de thérapie cellulaire et génique dont font partie les CAR-T cells.
 

Et demain ?

On parle aussi de plus en plus des TILs (Tumor Infiltrating Lymphocytes). Il s’agit de lymphocytes T infiltrants les tumeurs que l’on prélève pour les amplifier. La tumeur est réséquée chirurgicalement puis découpée en morceaux, mis en culture dans du milieu riche en facteurs de croissance des lymphocytes T. Les TIL sont ensuite récoltés puis cultivés pendant cinq à sept semaines avant d’être réinjectés aux patients. « Cette amplification est considérée comme une modification substantielle, il s’agit donc d’un MTI », précise Jeanne Galaine. Parmi ces lymphocytes T, certains sont spécifiques des antigènes tumoraux et d’autres non. En les sortant de l’environnement tumoral, la culture en présence de cytokines comme l’IL-2 et d’autres facteurs de croissance permet de restaurer leur capacité antitumorale. « C’est un afflux d’effecteurs cellulaires antitumoraux », résume Jeanne Galaine.

La production de ces lymphocytes T est néanmoins compliquée pour les acteurs industriels. « Le processus, avec l’étape de découpage de la tumeur, est difficile à automatiser », explique Jeanne Galaine. Les TIL pourraient donc rester l’apanage des centres de production de MTI non industriels comme les sites EFS, le centre MEARY à Paris ou les unités hospitalières autorisées à produire des TIL comme celle de Nantes.

Une autre approche consiste, comme avec les CAR-T cells, à modifier génétiquement des lymphocytes (principalement les lymphocytes T) avec un autre récepteur spécifique de la tumeur, TCR Tg (T Cell Receptor Transgénique). Le TCR endogène (physiologique) confère aux lymphocytes T la capacité à reconnaître des antigènes. Le TCR Tg est constitué des mêmes chaînes alpha et bêta que le TCR endogène mais elles ont été sélectionnées pour cibler des peptides antigéniques issus de tumeurs.

Le TCR Tg peut ainsi reconnaître un grand nombre d’antigènes, y compris des antigènes cibles intracellulaires, ce dont ne sont pas capables les CAR-T cells, limités aux antigènes à la surface des cellules. Ces cellules permettent d’envisager de s’attaquer aux processus de base de la cancérogénèse si l’antigène intracellulaire qu’ils ciblent est impliqué dans l’oncogénèse. Elles pourraient réduire le risque d’échappement de la reconnaissance immunitaire. Les TCR Tg intéressent aussi les médecins pour le traitement des tumeurs solides. « Toutefois, un inconvénient majeur est que la reconnaissance des antigènes par les TCR Tg est restreinte aux molécules du HLA », nuance Jeanne Galaine. Ils ne peuvent donc être administrés qu’aux personnes exprimant le HLA compatible avec la spécificité du TCR Tg. « Pour étendre cette approche à tous les patients, il faudra développer autant de TCR Tg (et donc de MTI) que de molécules HLA pour chaque cible », explique Jeanne Galaine, qui croit néanmoins à la stratégie malgré le défi éthique que son développement pose. L’approche actuellement la plus courante est de développer des TCR Tg restreints aux molécules HLA les plus fréquentes, comme la molécule HLA-A2.
 

Voire après-demain ?

Les laboratoires de recherche développent ainsi de nombreux MTI de plus en plus élaborés qui bénéficient des découvertes fondamentales notamment en immunologie. Mais pour les déployer, il faudra résoudre aussi des questions organisationnelles liées à leur modalité de traitement souvent en autologue. Des essais cliniques sont en cours pour évaluer la sécurité et l’efficacité des CAR-T cells allogéniques. Ceux-ci sont modifiés génétiquement pour lever cette contrainte.

On parle aussi des cellules souches induites (iPS, induced Pluripotent Stem cells) comme matériel de base pour produire des cellules destinées à la thérapie cellulaire. L’idée est intéressante car elles peuvent théoriquement donner naissance à tous les types de cellules. « Il sera néanmoins indispensable d’être vigilant sur leur stabilité chromosomique pour envisager leur déploiement plus large en clinique », ajoute Jeanne Galaine. Une telle approche pourrait être utilisée pour des maladies fréquentes, comme le diabète, avec la production de cellules de Langherans à partir d’iPS.

De nombreuses recherches avancent aujourd’hui sur les bases précliniques et cliniques du développement de ces nouveaux MTI de thérapie cellulaire. « Mais il ne faut jamais négliger l’étape de transfert de production depuis une phase recherche ("paillasse") vers la production de lots cliniques conformément aux principes des BPF », met en garde Jeanne Galaine.


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Établi en février 2023