Scientifique
17/03/2022

Le microbiote, une influence à la réponse aux traitements anticancéreux

De nombreuses recherches indiquent que les bactéries de la flore intestinale conditionnent l’efficacité des traitements immunomodulateurs, y compris contre le cancer. L’accumulation d’éléments scientifiques éclaire le mécanisme en jeu et dessine une nouvelle dimension de l’oncologie microbiologique.

Depuis sa découverte, le microbiote intestinal ne cesse de surprendre. Il joue un rôle crucial dans le métabolisme mais aussi l’immunité (1). Des chercheurs français, menés par la professeure Laurence Zitvogel, médecin oncologue et immunologiste à l’Institut Gustave Roussy, ont même montré qu’il pouvait être décisif sur le succès de traitements anticancéreux. Lisa Derosa, médecin oncologue de cette équipe, explique : « Depuis 2013, nous avons établi plusieurs preuves de concept montrant l’impact des micro-organismes peuplant l’intestin sur l’efficacité des chimiothérapies immunomodulatrices ».

Tout d’abord, les chercheurs ont démontré que la prise d’antibiotiques impacte l’efficacité des immunothérapies. « Des données chez la souris avaient montré que les antibiotiques bloquent les immunothérapies, énonce Lisa Derosa. En 2018, nous avons pu montrer le même phénomène sur des données cliniques grâce à une étude rétrospective auprès de patients souffrant de tumeurs du poumon, du rein et de mélanomes (2). Chez les malades ayant pris des antibiotiques 60 jours avant l’immunothérapie, on mesure une baisse à la fois de la survie sans progression et de la survie globale ». Par la suite, de nombreuses études (3) ont mis en évidence un phénomène comparable dans d’autres cancers, métastatiques ou non. « Nous pensons que les antibiotiques altèrent la flore intestinale ce qui bloque l’action de l’immunothérapie », explique la spécialiste.

Une dysbiose particulière

En 2021, une méta-analyse va plus loin, en attestant du lien entre la prise d’antibiotiques, l’altération du microbiote et la réponse aux traitements (3). Mais quel type d’altération est précisément en cause ? Pour le comprendre, les oncologues de Gustave Roussy ont analysé en détail le microbiote de 69 patients atteints de cancer du rein (4). Après la prise d’antibiotiques, la diversité et la composition de la flore intestinale des patients étaient altérées, ce que les spécialistes appellent dysbiose. En particulier, le genre Clostridium était surreprésenté, ce qui était associé à une mauvaise réponse à l’immunothérapie. « C’est probablement la composition du microbiote qui explique ce défaut d’efficacité du traitement », analyse Lisa Derosa. Chez les patients répondeurs, les chercheurs ont découvert un microbiote enrichi en Ruminococcus et Bifidobacterium genera et Akkermansia muciniphila (5). Cette dernière espèce en particulier a aussi été isolée des selles de patients répondeurs souffrant de cancers du poumon et du rein (6). « On peut établir l’empreinte de la dysbiose et prédire la réponse à l’immunothérapie, confirme la spécialiste. Ce sont toujours les mêmes bactéries qui sont associées aux réponses bénéfiques ou négatives aux traitements immunomodulateurs ».

D’ailleurs, la réponse aux traitements peut être changée en modifiant le microbiote. « Chez des souris de laboratoire, il est possible de faire une transplantation fécale, c’est-à-dire de donner à l’animal un microbiote intestinal humain. Nous avons montré que selon le type de microbiote reçu, issu d’un patient répondant ou non au traitement, la tumeur d’une souris sera sensible ou résistante à l’immunothérapie (7) », poursuit Lisa Derosa.

L’analyse des ganglions mésentériques, situés autour des viscères, révèle que des lymphocytes T particuliers (CCR9+CXCR3+CD4+) sont activés lorsqu’une personne présente une réponse efficace aux traitements immunomodulateurs. Les mêmes cellules immunitaires sont retrouvées à proximité de la tumeur après le traitement. Il semble donc que ces lymphocytes T compétents voyagent depuis l’intestin jusqu’à la tumeur. 

Inverser la résistance

Aujourd’hui, les médecins s’appuient sur ces connaissances pour améliorer l’efficacité de l’immunothérapie chez des patients initialement non répondeurs. C’est l’objet de deux essais cliniques récemment publiés dans Science (8, 9), dans lesquels des transplantations fécales améliorent l’efficacité d’immunothérapies chez des patients souffrant de cancers métastatiques. « Dans ces protocoles de recherche, les médecins ont réussi à inverser la résistance à l’immunothérapie », se réjouit Lisa Derosa. Et de poursuivre : « On pense que le changement de microbiote produit un boost métabolique, ce qui active le système immunitaire et génère des changements mineurs dans le micro-environnement de la tumeur. Celle-ci devient plus inflammatoire et plus sensible à l’immunothérapie ».

Trois éléments assureraient l’efficacité de la greffe fécale chez les patients non répondeurs : la fixation du microbiote bénéfique, la réponse métapolitique et la reprogrammation du micro-environnement de la tumeur. « Mais il reste beaucoup à comprendre, insiste la chercheuse. Nous ne connaissons pas les mécanismes en jeu et nous ne savons pas précisément quelles bactéries doivent être éliminées et quelles sont celles qu’il faut conserver ».

Pour faire avancer ces recherches, Lisa Derosa et Laurence Zitvogel viennent de créer le Clinicobiome, une clinique du microbiote au sein de l’Hôpital Gustave Roussy. « Il s’agit d’un programme clinico-scientifique pour identifier les dysbioses chez les patients et leur proposer un traitement personnalisé afin de les corriger », explique Lisa Derosa. Il s’agit de collecter les selles des patients, de les analyser et d’y associer d’autres données cliniques, notamment les antécédents de maladies métaboliques, dont on sait qu’elles sont très influencées aussi par la composition du microbiote (1). « Puis nous allons monter des essais cliniques pour évaluer l’efficacité de médicaments modifiant le microbiote ou d’intervention diététique », conclut-elle.

Sources :
(1) MG Rooks, WS Garrett, Nat Rev Immunol. 2016, 16(6):341-52. doi: 10.1038/nri.2016.42
(2) L Zitvogel et al., Science 2018 359(6382):1366-1370. doi: 10.1126/science.aar6918
(3) L. Derosa et al., Cancer Discov 2021,11(10):2396-2412. doi: 10.1158/2159-8290.CD-21-0236
(4) L. Derosa et al., Eur Urol 2020,78(2):195-206. doi: 10.1016/j.eururo.2020.04.044
(5) L Derosa et al., Nat Med. 2022. doi: 10.1038/s41591-021-01655-5
(6) L. Derosa et al. Ann Oncol. 2018, 29(6): 1437–1444. doi: 10.1093/annonc/mdy103
(7) B. Routy et al., Science 2018, 359(6371):91-97. doi: 10.1126/science.aan3706
(8) D. Davar zt al., Science 202, 371(6529):595-602. doi: 10.1126/science.abf3363
(9) EN Baruch et al., Science 2021, 371(6529):602-609. doi: 10.1126/science.abb5920

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Établi en août 2022