Dans quel contexte les pharmaciens et les oncologues du Centre hospitalier ont-ils décidé de la mise en place de ce protocole de coopération ?
Depuis 2018, nous proposons déjà aux patients une consultation tripartite à l’initiation d’une thérapie orale avec la présence de l’oncologue, du pharmacien et de l’infirmière coordinatrice en cancérologie. En parallèle, différents textes de loi ont progressivement fait évoluer les missions des pharmaciens. C’est le cas avec l’ordonnance 2016-1729 du 15 décembre 2016, qui fait de la pharmacie clinique l’une des missions essentielles des pharmaciens exerçant en PUI. De même, le décret du 21 mai 2019 relatif aux PUI définit les actions de pharmacie clinique. Enfin, la loi d’accélération et de simplification de l’action publique du 7 décembre 2020 accorde un nouveau rôle aux pharmaciens des PUI, précisé par l’arrêté du 21 février 2023 : depuis lors, ils sont autorisés à effectuer le renouvellement et l’adaptation des prescriptions. Bien avant la publication de ce décret, nous avions commencé à réfléchir, avec les oncologues, à un rôle plus prégnant à accorder au pharmacien clinicien de la PUI, afin d’enrichir l’accompagnement du patient au cours de son traitement et lui offrir un suivi plus approfondi.
Comment avez-vous rédigé ce protocole de coopération qui lie vos deux professions ?
Dès lors que l’arrêté de février 2023 a été publié, nous nous sommes attelés à la rédaction du protocole de coopération visant à optimiser la qualité de la prise en charge de nos patients. Il est vrai que nous sommes allés plutôt à contrecourant des propositions de la Société française de pharmacie clinique (SFPC) et de l’Ordre national des pharmaciens, qui encouragent davantage à la rédaction de protocoles vastes afin de ne pas bloquer l’exercice. Au CH, nous avons fait le choix de détailler précisément les domaines dans lesquels je peux intervenir avec deux priorités à respecter : garantir la qualité de la prise en charge des patients et proposer un parcours de soins densifié et homogène pour tous. Actuellement, je suis le seul pharmacien de l’établissement à participer au protocole de coopération. Mais nous avons prévu le cadre dans lequel de nouveaux collègues pourront intégrer cette activité : le pharmacien clinicien doit avoir suivi, au-delà de son internat, une formation diplômante et validante en oncologie (Diplôme universitaire, par exemple), une formation complémentaire en pharmacie clinique, et justifier d’une expérience d’au moins deux ans en oncologie.
Une partie du protocole détaille également l’appui que je peux solliciter auprès des équipes médicales d’oncologie, avec notamment un accès direct à un oncologue en cas de besoin. Pour autant, il s’agit bien d’un protocole de coopération dans le sens où j’assume l’entière responsabilité de mes actes. C’est mon assurance Responsabilité civile professionnelle (RCP) qui serait engagée en cas de litige.
En quoi consiste la prise en charge du patient dans le cadre du protocole ?
Le protocole concerne strictement le parcours des patients majeurs traités par thérapie orale en oncologie médicale c’est-à-dire pour la prise en charge des cancers gynécologiques, du sein, digestifs et pulmonaires. L’établissement dispose également d’une activité d’onco-hématologie. Notre objectif est de l’intégrer au protocole pour proposer cette modalité de prise en charge à ces patients, mais cela nécessite tout d’abord de compléter mes connaissances afin de disposer de suffisamment d’expérience dans ce domaine.
Actuellement, dès lors qu’un oncologue initie un traitement par thérapie orale, il explique au patient le protocole et le suivi conjoint que nous pouvons lui proposer ; son accord étant obligatoire. Nous le recevons alors en Hôpital de jour (HDJ) avec l’oncologue et l’IDEC. Si nous sommes tous les trois présents, la valorisation est partielle (environ 300 euros) et si nous avons identifié des besoins en soins de support, ce qui conduit à l’ajout d’un quatrième intervenant, la valorisation de l’HDJ est complète (environ 600 euros). Dans le cadre de sa consultation, l’oncologue explique au patient sa pathologie, les modalités de prise en charge et le suivi. Il lui remet une prescription sans lui expliquer le traitement dans le détail, car j’interviens à la suite, dans le cadre d’une consultation de pharmacie clinique dédiée. Je commence par faire le point sur ce que le patient a compris de sa pathologie et de sa prise en charge, et je l’interroge sur ses problématiques de santé.
Ensuite, je prends un temps pour lui expliquer le traitement dont il bénéficie : son fonctionnement, les posologies et les modalités de bon usage, les effets indésirables éventuels et les modalités de prévention et de prise en charge. Je poursuis avec un bilan médicamenteux actualisé afin de rechercher l’ensemble des médicaments et thérapies alternatives et complémentaires, notamment à base de plantes, afin de détecter et gérer les interactions éventuelles. Je l’informe également des interactions possibles avec certains aliments.
Après ma consultation, le patient est reçu par l’IDEC, qui intervient pour la coordination du parcours de soin, la détection des besoins en soins de support et la mise en place de l’outil de télésuivi.
À quel moment intervenez-vous pour renouveler ou adapter son traitement ?
J’interviens sur l’ensemble des médicaments du patient, la thérapie orale, les médicaments nécessaires pour prévenir ou gérer les effets indésirables de la thérapie orale, tels que les nausées, les diarrhées, et les traitements de fond du patient notamment pour la gestion des interactions médicamenteuses. C’est toujours l’oncologue qui établit la primo-prescription de la thérapie orale. Je peux également prescrire des bilans biologiques indispensables au suivi du traitement si l’oncologue ne l’a pas fait. À l’issue de ma consultation, je rédige un courrier pour l’oncologue, les autres spécialistes, le médecin traitant et le pharmacien de ville du patient pour les informer du déroulé de ma consultation.
Nous avons également adapté la prise en charge standardisée du patient : les six premiers mois de son traitement, il est vu tous les mois en consultation, en alternance, par l’oncologue puis moi. Dans ce cadre, je commence toujours ma consultation en l’interrogeant sur sa santé globale afin de le mettre en lien avec l’oncologue si une problématique dépasse mon champ d’action. Puis, je le questionne sur son traitement afin de détecter si les modalités de bonne prise et de bon usage sont respectées, s’il rencontre des problématiques d’observance, des effets indésirables. Je recherche d’éventuelles nouvelles interactions médicamenteuses si le bilan médicamenteux a évolué et j’analyse son bilan sanguin. En fonction des problématiques détectées, je peux alors adapter le traitement en temps réel. L’arrêté prévoit deux modalités de mise en œuvre : le renouvellement et/ou l’adaptation des traitements directs (RATD), c’est le cas pour le renouvellement de la prescription à l’identique de la thérapie orale ou l’ajout de médicaments nécessaires à la gestion des effets indésirables, que je peux renouveler en toute autonomie. Ou, le renouvellement et/ou l’adaptation des traitements concertés (RATC), avec l’accord de l’oncologue, s’il est nécessaire de modifier le traitement oncologique. Enfin, pour sécuriser la prise en charge médicamenteuse, je ne peux pas dispenser une prescription que j’ai rédigée, par exemple dans le cadre de la rétrocession ; elle doit bénéficier d’une analyse pharmaceutique réalisée par un autre pharmacien.
À l’issue des six premiers mois de suivi, si le patient a acquis suffisamment d’autonomie, nous poursuivons les consultations tous les deux mois, toujours en alternance avec l’oncologue.
Qu’en est-il de la valorisation financière de ce suivi ?
Je consacre 40 % de mon temps à la mise en œuvre de ce protocole avec quatre demi-journées de consultations pharmaceutiques ouvertes pour prendre en charge quatre à cinq patients par plage. Je reçois 100 % des patients dès lors qu’ils ont un traitement par thérapie orale, soit environ 150 patients en file active. Pourtant, nous ne bénéficions d’aucune valorisation financière par rapport à cette nouvelle organisation. L’oncologue peut voir plus de patients sur un nombre de plages de consultation identique puisque je les suis en alternance avec lui. Or, pour ma consultation de pharmacie clinique, je ne dispose d’aucune cotation directe dédiée car pour l’Assurance maladie, la consultation pharmaceutique n’existe pas. Je ne bénéficie d’aucun temps de secrétariat dédié, j’ai donc la charge de toutes les tâches administratives telles que la gestion des rendez-vous et la rédaction des comptes rendus de consultation que j’envoie aux professionnels de santé des patients.
Par ailleurs, il est important de renforcer la formation et l’accompagnement des jeunes pharmaciens vis-à-vis de cette pratique clinique, car contrairement aux médecins, pendant notre internat, nous ne sommes pas nécessairement confrontés régulièrement à des patients en cancérologie, ni formés à recevoir leur souffrance. La prise en charge des patients atteints de cancer est lourde, et malgré l’arrivée des thérapies orales en adjuvant, la majorité des patients que je vois sont en stade métastatique avec un pronostic parfois compromis à court ou moyen terme. Moralement, la démarche peut être compliquée, même si la valeur ajoutée est réelle pour les patients.
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