Le contexte
Depuis une vingtaine d’années, la culture du bon usage du médicament chez les personnes âgées est particulièrement déployée au CHU de Lille. « Nous avons par exemple mené une action dans le cadre de l’expérimentation Parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d'autonomie (PAERPA) sur l’optimisation du médicament en incluant les acteurs de la ville et ceux de l’hôpital », souligne le Pr Jean-Baptiste Beuscart, PU-PH et médecin gériatre du CHU de Lille. Forte de cette expérience, l’équipe a décidé de porter une expérimentation « Article 51 » (lire encadré), « afin de dépasser les limites observées dans le cadre de l’expérimentation PAERPA, essentiellement liée à la transmission d’informations entre la ville et l’hôpital », ajoute-t-il. Car, si les procédures hospitalières étaient claires, les professionnels de ville, notamment les médecins et les pharmaciens officinaux, souhaitaient davantage d’échanges et des financements correspondant au temps dédié à cette coordination. L’équipe a donc déposé ce projet, qui a fusionné avec une initiative similaire portée initialement par le CHU d’Amiens.
L’expérimentation
L’entrée du patient dans le dispositif Iatroprev peut se faire par deux voies :
soit par la ville, à la suite du repérage des patients par le médecin traitant ou le pharmacien en officine, en sachant que le dispositif peut être couplé au Bilan partagé de médication (BPM), un entretien réalisé par le pharmacien d’officine ;
soit à l’hôpital, à l’occasion d’une hospitalisation du patient, qui est orienté vers ce dispositif par l’équipe intra-hospitalière.
Pour être inclus, le patient doit donner son accord, avoir plus de 75 ans et plus de 10 médicaments prescrits. Un outil informatique sécurisé a été conçu spécifiquement pour ce programme pour faciliter le suivi du parcours par l’ensemble des acteurs de ville et de l’hôpital.
À l’inclusion du patient, « le pharmacien et le gériatre effectuent alors une réévaluation thérapeutique, médicale et pharmaceutique, afin d’élaborer des propositions d’optimisation médicamenteuse », explique le Pr Beuscart. Une Réunion de concertation pluriprofessionnelle (RCP) est ensuite organisée avec le médecin traitant du patient et son pharmacien d’officine, pendant 15 à 20 minutes afin d’échanger sur l’ensemble des optimisations envisagées et valider celles à mettre en œuvre, aboutissant ainsi à un plan pharmaceutique personnalisé. « Notre objectif est l’optimisation médicamenteuse et la coordination des soins entre la ville et l’hôpital, souligne le Pr Bertrand Décaudin, pharmacien clinicien, professeur des universités à Lille. Nous échangeons sur les modifications de traitements, l’introduction de nouvelles molécules, la déprescription, l’adaptation de posologie, les modalités de prise ou encore le suivi. » Et de compléter : « Nous souhaitons définir le meilleur traitement possible et recherchons l’optimisation de la qualité de la prise en charge médicamenteuse pour nos patients. »
Les objectifs
En moyenne, à la suite de l’intervention de l’équipe, sur la dizaine de médicaments pris par le patient, quatre sont arrêtés, quatre sont introduits et deux sont modifiés. La RCP entre la ville et l’hôpital est organisée par un gestionnaire de cas, recruté pour coordonner le parcours. Il sollicite les médecins et pharmaciens de ville afin d’organiser la coordination autour du patient, puis effectue le suivi à 45 et 90 jours afin d’analyser les résultats des recommandations mises en œuvre, dès lors que le patient est retourné à son domicile.
Dans 85 % des cas, les recommandations ainsi proposées sont maintenues ; pour les 15 % restants ce n’est pas le cas, en raison par exemple de pathologies aiguës ayant nécessité une adaptation thérapeutique, de réhospitalisation ou encore d’institutionnalisation. À 90 jours, le dossier est clos, enclenchant la facturation. L’hôpital est rémunéré par un forfait hospitalier de 200 euros. En ville, les pharmaciens d’officine et les médecins traitants perçoivent un forfait spécifique de 50 euros par professionnel. S’ajoute un forfait de coordination que les acteurs se partagent entre la ville et l’hôpital. 504 patients ont été inclus dans le cadre de cette expérimentation et tous ont bénéficié de la réévaluation, de la RCP et du suivi.
L’évaluation de cette expérimentation, qui a duré de février 2021 à avril 2024, a permis de démontrer l’efficacité du process en termes de réévaluation médicamenteuse. Parmi les indicateurs cliniques d’efficacité de la démarche : le maintien des recommandations à 90 jours, la déprescription des médicaments inappropriés, et le taux de réhospitalisation à 30 et 90 jours. Une seconde phase d’expérimentation va débuter pour l’ensemble du territoire pour mesurer l’efficience médico-économique du modèle.
L’article 51 de la Loi de financement de la sécurité sociale de 2018
Pour rappel, cet article permet d’expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financement inédits à condition qu’elles contribuent à améliorer le parcours des patients, l’efficience du système de santé ou encore la pertinence de la prescription des produits de santé. L’objectif est d’offrir aux acteurs du soin une opportunité pour tester de nouvelles approches en dérogeant aux règles de financement de droit commun, applicables en ville comme en établissement hospitalier ou médico-social. Parmi les expérimentations éligibles, celles portant notamment sur la coordination du parcours de santé, la pertinence et la qualité des prises en charge sanitaire, sociale ou médico-sociale, la structuration des soins ambulatoires et l’accès aux soins.
L’évènement PRES, organisé par Roche, met régulièrement le projecteur sur certaines d’entre elles : retrouvez l’article relatant le bilan à 5 ans lors de l’édition 2023 de PRES, par la cheffe de projets « article 51 » au sein du ministère de la Santé.
Les points à retenir
- Le programme Iatroprev vise à optimiser les prescriptions médicamenteuses pour réduire la iatrogénie chez les personnes âgées polymédiquées. Il mise sur une meilleure coordination entre l’hôpital et la ville pour améliorer la prise en charge des patients.
- L’inclusion des patients dans le dispositif peut se faire soit via le médecin traitant ou le pharmacien d’officine, soit à l’hôpital lors d’une hospitalisation. Un outil informatique sécurisé facilite la communication entre les professionnels.
- Après inclusion, un pharmacien et un gériatre réalisent une réévaluation thérapeutique du patient. Une Réunion de Concertation Pluriprofessionnelle (RCP) est ensuite organisée pour définir un plan pharmaceutique personnalisé visant à optimiser les traitements.
- Sur les 504 patients inclus, environ 85 % des recommandations ont été maintenues à 90 jours. L’expérimentation a démontré l’efficacité du processus en réduisant les médicaments inappropriés et en mesurant le taux de réhospitalisation. Une seconde phase, élargie à l’ensemble du territoire, est prévue pour évaluer l’impact médico-économique du modèle.
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